jeudi 23 juin 2011

Osez le clitoris et ses représentations crues !

Toute à mon billet d'hier, j'ai repoussé la rédaction de mon billet sur la campagne d'Osez le Féminisme, intitulée Osez le Clitoris.
J'attendais cette campagne avec impatience. Le silence autour du clitoris, sa fonction, sa forme, et sa position, me hérisse. Je me demandais quelle forme l'association allait donner à cette campagne. Je suis fanatique du site Vie de Meuf, j'ai soutenu avec enthousiasme la campagne contre le viol, j'ai été plus critique quant à la campagne sur l'avortement.

J'ai l'impression que tout le monde est à peu près d'accord sur le fond (sauf que certains trouvent qu'il y a des sujets plus urgents à traiter), mais la forme fait furieusement débat, surtout l'affiche.
Hélo, Emelire et Patric Jean relaient la campagne avec enthousiasme et c'est sûrement cette voie que j'aurais empruntée si je n'avais pas lu de nombreuses critiques qui m'ont fait hésiter.
Sandrine relaie la campagne en émettant des réserves quant à l'affiche. Elle défend le fond de la campagne dans un autre billet. Olympe, elle aussi, est peu enthousiaste sur la forme de la campagne. L'article de Maïa Mazaurette est dans la même veine (avec ce style toujours génial qui fait le succès du blog).
D'autres, comme Anaïs, Sophie Gourion et Circé, sont franchement hostiles, sur le fond et sur la forme.


Parlons d'abord du fond. L'association semble être tombée dans tous les pièges de la communication féministe.
Le problème du clitoris prend de nombreuses formes, à plusieurs degrés : simplement ignoré par un manque d'éducation sexuelle, évité par ceux qui refusent aux femmes le droit au plaisir, mutilé par ceux qui cherchent à détruire les femmes. Peut-on tout mettre dans le même panier ? Peut-être que oui, si l'on considère que tous ces effets ont la même cause, le patriarcat. Mais dans ce cas, la communication autour du sujet doit être l'objet de sévères précautions, ne serait-ce que par respect envers les victimes de mutilations génitales dont les douleurs ne peuvent être mises sur le même plan que la frustration des femmes à la recherche d'un point G au fond du vagin. L'articulation entre les manifestations du sexisme à plusieurs degrés n'a pas été bien gérée, visiblement, vu qu'on lit "il n'y a pas plus important que ça ?".
Autre sujet casse-gueule : dénoncer les discriminations et les violences subies par les femmes sans tomber dans la victimisation, sans paraître misandre. Pour les critiques les plus virulentes de la campagne, là, c'est loupé. Je n'ai pas eu ce ressenti, sans doute parce que j'ai pris les textes du site comme ayant une valeur statistique. Vu le nombre de personnes qui dénoncent ce travers d'OLF, il aurait fallu travailler ce point de la communication.
A propos de statistiques, tout baser sur une enquête faite auprès des internautes est très cavalier. Des études ont été faites depuis des années, et j'ai pas vraiment l'impression que les chiffres d'OLF soient du même ordre de grandeur.
Je suis franchement gênée de voir, sur le site, que la masturbation est tant mise en avant. Je suis persuadée que l'onanisme permet de mieux connaître son corps et qu'il n'y a pas de raison de réfréner ces activités. Mais la véritable urgence, en matière de sexualité, me parait être reconnaitre le rôle du clitoris dans les rapports hétérosexuels, pour relativiser le pilonnage qui est la norme dans la pornographie. La campagne donne plus l'impression d'une promotion de la masturbation féminine dans tout ce que la chose a d'organique, que d'une campagne informative, qui éviterait les injonctions, sur la sexualité féminine. Je n'ai pas peur d'avoir les doigts qui puent, mais ma sexualité ne se résume pas à ça !


Maintenant, passons à la forme, en particulier à l'affiche.
L'affiche est choquante, et c'est sans doute le but. Il faut attirer l'oeil, faire le buzz, pour que les gens aillent voir le site qui contient des infos utiles. Il n'y a pas de mal à faire le buzz, si c'est pour la bonne cause. A moins de voir OLF comme un moyen pour le PS de gagner des voix... On ne peut pas accuser l'association sans preuve, même si ça semble fort probable. Si c'est le cas, j'aimerais qu'OLF l'assume : il n'y a pas de mal à avoir une opinion politique ni à militer !
On a reproché à l'affiche l'absence de visage : on a suffisamment de femmes décapitées et deshumanisées dans les pubs, pas besoin que les féministes en rajoutent. Ceci dit, pour une campagne sur le clito, ça me parait normal qu'on insiste dessus.
Peut-être que certaines personnes (je ne vise personne en particulier, j'imagine ce que peut penser le macho lambda) sont choquées de voir une affiche présentant Lafâme sous un jour peu flatteur : une femme c'est beau, faut pas montrer ce qui n'est pas charmant chez elle.
Je crois, en fait, que la réaction de chaque femme face à cette affiche est conditionnée par le rapport qu'elle entretient avec son corps. Pour des raisons qui me sont propres et que je ne développerai pas, j'apprécie l'exhibition de la partie cachée du clitoris. Je ne me permettrais pas de chercher les raisons personnelles qui ont poussé les blogueuses à encenser ou critiquer la campagne, et encore moins de porter un jugement. J'émets simplement une hypothèse pour expliquer la disparité d'opinions.
Finalement, j'en viens à penser que personne n'a tort ou raison sur cette affiche.  Chacun a un ressenti différent lié à sa propre expérience, à sa propre façon de considérer le corps féminin. Ce ressenti peut être influencé par l'extérieur, mais aussi très personnel. Cette constatation pourrait sans doute être faite pour la plupart des sujets qui divisent les féministes.


Illustrations :
L'affiche de la campagne
Détail de l'extase de Sainte Thérèse, par le Bernin.

mercredi 22 juin 2011

"Un long processus qui peut être douloureux"

Il y a une semaine, une interview de Laurence Bachmann a été publiée sous le titre "on ne naît pas féministe, on le devient". Rares sont les personnes qui ont pu recevoir une éducation suffisamment peu genrée pour n'avoir pas intégré l'identité qu'on impose communément aux gens de leur sexe. La plupart des féministes ont ainsi dû rejeter leurs certitudes et leur éducation pour accepter le genre comme un fait. Laurence Bachmann s'est donc demandé : "Qu’est-ce qui fait que certaines femmes développent un regard critique sur les rapports sociaux de sexe?" Le verdict est sans appel : "Toutes avaient également vécu une situation discriminante durant leur vie." Elle souligne cependant une différence notable entre les féministes : "Quelques femmes, filles de féministes, sont des héritières; elles bénéficient déjà de mots pour parler de la domination masculine. Pour les autres, c’est un long processus qui peut être douloureux."

J'ai la chance d'être une fille de féministe. Même si elle ne connaissait pas le vocabulaire dont parle Laurence Bachmann, ma mère m'a transmis des idées qui m'ont permis d'aborder facilement le féminisme. Lorsque j'ai rencontré une situation discriminante, j'ai eu, grâce à elle, le réflexe de questionner la société qui permettait cette discrimination au lieu de m'enfermer dans la culpabilité. C'est la chance qui m'a permis de trouver les mots : mon chéri, que je venais de rencontrer (c'était en 2000/2001, le Fouquet's interdisait son restaurant aux femmes non accompagnées par un mâle), m'a appelée affectueusement sa "petite Chienne de Garde". Je ne connaissais l'association que de nom, je me suis donc renseignée sur elles, sur leur message, sur leurs idées. Le reste a suivi ; d'Isabelle Alonso je suis passée à Simone de Beauvoir et je n'ai jamais arrêté de me passionner pour le féminisme. Grâce à ma mère qui m'a donné l'habitude de remettre en question les idées et valeurs communes de la société, l'évolution n'a pas été douloureuse.

J'ai donc longtemps ignoré à quel point il peut être douloureux de remettre en question ses croyances pour comprendre et accepter l'idée du genre. Au contraire, je ressentais un certains mépris pour les personnes qui refusent de réfléchir à ces questions quand on leur présente des faits. Jusqu'à ce que je rencontre D.
D. est un homme mûr, père de trois filles, avec lequel j'ai travaillé. C'est un homme curieux et qui possède une certaine culture (malheureusement incomplète, ce qui le conduit à proférer des énormités qui le font passer pour un imbécile) qu'il tente d'étendre par ses lectures. Il est aussi très gentil, aimant et très compréhensif ; il ne peut pas s'empêcher de prendre soin des autres et d'être protecteur avec ceux qui lui paraissent affaiblis (le chercheur en dépression, la stagiaire enceinte et stressée...). On peut compter sur lui, et s'il promet quelque chose, on peut être sûrs qu'il s'y tiendra. Les inégalités salariales entre les femmes et les hommes lui paraissent impensables, il ne comprend pas que ça existe ; il ne tolèrerait en aucun cas qu'on discrimine une femme enceinte. Il est en revanche très peu sûr de lui, très timide, et naïf dans sa vision de la société. Ses filles, qui ont entre 5 et 10 ans, sont la prunelle de ses yeux. Il ne sacrifie pas le temps passé avec elles pour son travail, et il se démène pour leur offrir tout ce dont elles ont besoin. Quand il parle d'elles, il a des étincelles dans les yeux. Son air hésitant et sa gentillesse le font passer pour un imbécile heureux, mais la tendresse dont il peut faire preuve m'a faite fondre ; sa capacité d'empathie a emporté mon respect.
Je développe peu mes idées féministes au boulot, une partie de l'équipe étant très peu réceptive avec des tendances agressives. Avec D., je n'ai pas peur de parler. Un jour il m'a dit, avec naturel, dans une discussion sur les clubs de jeux (échecs, cartes...) où, selon lui (et je pense qu'il a raison), il y a peu de filles : "les filles sont naturellement plus sérieuses que les garçons". Je n'ai pas pu le laisser croire cela. J'ai parlé du genre, de l'éducation, des jouets qu'on impose aux filles... J'ai parlé des gender studies, des études peu médiatisées mais solides qui soutiennent ces théories... Un de nos collègues, qui nous écoutait, a trouvé ma démonstration convaincante (ce qui m'a fait vachement plaisir, vu qu'à l'oral je suis beaucoup moins sûre de moi qu'à l'écrit...). Mais D. s'est buté, son visage d'habitude si avenant s'est fermé. Il répétait "tu as peut-être raison, mais je crois qu'il y a un truc naturel quand même". J'ai fini par comprendre ce qui le tracassait : il pensait à ses filles. Si le sérieux des filles n'est pas naturel, cela signifie que les filles chéries de D. ont été conditionnées pour l'être, par l'éducation. D. se sent responsable de tout se qui touche à ses filles, et dans sa vision manichéenne des choses, accepter la notion de genre revenait à admettre qu'il avait lobotomisé ses trois petits anges. Son amour passionné le rendant hypersensible et lui faisant perdre tout sens de la mesure, j'aurais tout aussi bien pu l'accuser d'avoir castré mentalement les petites, ou d'avoir arraché sauvagement à leur esprit l'amour du jeu, et pas là même leur innocence. J'ai tenté de corriger le tir en lui explicant que les coupables étaient la société, les pubs, l'école, et pas forcément les parents (il a toujours cru bien faire !)... Trop tard. Pour un homme aussi investi physiquement et émotionnellement dans l'éducation des ses filles, l'idée était insupportable.
Il a coupé court à la conversation et il a regagné son bureau. Peu de temps après, je partais en congé maternité et quand je suis revenue, il avait été muté. Nous n'avons pas eu l'occasion d'en reparler. J'aurais aimé trouver les mots pour le convaincre sans le blesser. Est-ce seulement possible ?


Il y a tant d'obstacles à surmonter pour s'assumer en tant que féministe, surtout si l'on a grandi et vécu en croyant  fermement à une société bipolaire, voire même en trouvant que c'est cool qu'il y aie des hommes forts et des femmes belles.

Se déclarer féministe implique de prendre le risque d'être sévèrement jugée par l'entourage. Pour une femme, on sera vue comme une personne aigrie, une hystérique, qui voit le mal partout, une emmerdeuse, pas féminine, moche, pas épilée... Pour un homme, les stéréotypes manquent, mais j'imagine que le mot "tapette" doit planer.

Plus difficile encore, il faut remettre en cause ses croyances. On perd ses repères. Il faut cesser de mettre les gens dans des cases, et considérer chaque personne comme un individu et non plus comme un homme ou une femme. Les possibilités se démultiplient à l'infini. Les qualificatifs perdent leur sens et la perception du monde se modifie.  Les statues tombent avec fracas de leur piédestal : Maman n'est plus une sainte, Papa n'est plus le plus fort, Chérie n'est plus la plus douce, Chéri n'est plus le plus solide. On ne peut plus avoir confiance en rien, même le langage est miné. La télé, les pubs, les livres, les oeuvres d'art, tout ce qu'on trouvait drôle et beau est contaminé par le sexisme.
Perdre ses repères permet d'en trouver d'autres. Les repères féministes (le vocabulaire, la philosophie...) sont finalement sécurisants, et offrent une sensation de fierté. On se sent clairvoyant. Mais la colère et l'indignation remplacent vite la peur. Le sexisme est partout, les enfants innocents sont formattés, des femmes sont violentées. Chacun est lésé par ce système, mais tout le monde tient à le sauvegarder.


Ce qui est le plus dur, c'est de devoir changer la manière dont on se voit.
Une femme devra cesser de se considérer comme une princesse ou comme une mère sanctifiée par les soins qu'elle prodigue à sa progéniture. Elle prendra conscience de ses possibilités multiples, certes, mais aussi de tout ce qui la freine, et de la petite voix insidieuse qui sussure aux femmes qui prennent des responsabilités "tu n'en est pas capable, tu n'y arriveras pas...". Elle est parfaitement capable de lire une carte et de brancher seule un ordinateur : elle n'aura plus d'excuses pour ne pas le faire, ne pas réfléchir, ne pas apprendre. Elle réalisera qu'elle n'est pas naturellement douce et gentille et devra admettre qu'elle est un peu méchante, comme tout le monde, qu'elle pourrait faire souffrir ses enfants car il n'existe pas d'instinct maternel pour l'en empêcher par magie. Un homme réalisera qu'il n'est pas naturellement plus solide psychologiquement, qu'il est en danger de craquer autant qu'une gonzesse.
A chaque fois qu'un homme ou une femme féministe entreprendra une activité convenant à son genre, il ou elle se demandera si son choix est influencé ou non. Fini la tranquilité d'esprit ! Il faut s'examiner sans mauvaise foi pour détecter les comportements stéréotypés, et, si l'on choisit de rejeter certains d'entre eux, lutter contre soi-même. Une femme devra lutter pour cesser de se mettre en retrait, un homme devra lutter pour cesser de se mettre en avant.
Se remettre en question, c'est aussi assumer sa responsabilité dans la reproduction des stéréotypes. Il est facile de se considérer comme une victime du système, il est aisé de dire : "j'ai été discriminé-e parce que la société est sexiste, j'ai été privé-e de certaines activités par mon entourage". Mais il peut être insupportable de penser qu'on a discriminé les autres, qu'on a privé des être innocents qu'on aime de certaines activités.


La liberté est précieuse.
Mais être libre de choisir entre une myriade de voies, c'est aussi devoir les identifier toutes, les soupeser, prendre la responsabilité de s'engager dans l'une d'elles en entraînant sa famille dans son sillage, oser user de sa liberté et assumer ses choix.
La liberté est précieuse, mais chère.

samedi 18 juin 2011

Féministe et féminine...


... est-ce possible ?

Parce que, c'est bien connu, toutes les féministes sont des femmes qui s'habillent comme des sacs, ne s'épilent pas, ne se maquillent pas et qui pètent au lit. En plus, elles veulent que tout le monde se ressemble, que tous les hommes et toutes les femmes s'habillent pareil, tous en pantalon pas beau. Elles nient les différences hommes/femmes et veulent tout uniformiser. Elles veulent faire comme les hommes, annihiler tout ce qu'il y a de féminin. Elles veulent pendre Valérie Damidot par les pieds pour avoir peint des chambres de petite fille en rose.

Comme d'habitude, lorsque ces attaques contre les féministes sont prononcées, on ne cite pas de noms ni d'exemples. Serait-ce que ces féministes n'existent pas ? Serait-ce que le message du féminisme est méconnu ?

C'est quoi, les différences hommes/femme ? Une construction sociale, pour l'essentiel. A part une force physique en moyenne différente et la différence de forme et de fonction des organes génitaux (nous, on a un clitoris, nananèreuh !), tout nous est imposé par l'éducation.
En disant cela, on ne nie pas l'existence des différences hommes/femmes, on nie qu'elles soient naturelles. Nous clamons notre liberté : notre nature ne nous impose pas d'être féminines ou pas, selon notre envie, et nous refusons d'être jugées ou punies pour avoir adopté un comportement qui n'est pas féminin. C'est pareil pour les mecs : pas besoin d'être viril, vous pouvez passer la serpillière en tutu si ça vous chante, personne n'a le droit de vous en empêcher.

D'où vient ce fantasme sur l'uniformisation que les féministes voudraient imposer ? 
Les militants anti-racistes veulent-il peindre tout le monde en blanc, noir ou à carreaux ? Les militants contre l'antisémitisme veulent-ils circoncire tout le monde ou faire repousser les prépuces ? Les militants anti-homophobie veulent-ils créer un monde bisexuel ?
Nous ne voulons pas l'uniformisation, nous voulons au contraire détruire l'uniformité du modèle binaire féminin/masculin (merci à Euterpe pour la formulation dans les commentaires de mon billet précédent).
Il y a du bon et du mauvais dans ce que nous regroupons artificiellement dans les cases "féminin" et "masculin". Pourquoi ne pourrions-nous pas prendre ce qui nous plait dans les deux cases ? Il n'a jamais été question d'atomiser une case au profit de l'autre, mais de faire sauter la séparation entre les cases pour permettre la circulation dans un grand espace où tout le monde trouverait sa place.

Je suis féministe, et quand j'ai envie, je suis féminine. Il m'arrive de me comporter en "vraie femme", quelquefois en cédant à la pression extérieure, quelquefois parce que j'en ai envie. Tous mes centres d'intérêts ne sont pas virils.
J'adore porter des jupes longues, juste pour le plaisir de sentir danser les volants autour de mes chevilles. Quand je ne suis pas en jupe, je porte des pantalons moulants et des chemisiers qui mettent en valeur ma silhouette. Je ne m'habille pas comme un sac. Je tiens en outre à mes cheveux longs.
J'aime plaire, séduire, être courtisée. Tant que c'est respectueux !
J'aime materner mes étudiants, quand j'en parle, je les appelle "mes petits".
J'ai découvert il y a peu que j'adorais cuisiner. Peut-être que c'est en voyant Ratatouille pour la 600ème fois que j'ai eu un déclic. Je cuisine toujours en grande quantité, faudrait pas que mes hommes aient faim ! Je fais même mes yaourts.
En revanche, je ne me maquille pas, je ne porte pas de talons, et j'ai un langage de camionneur. Je n'ai jamais eu peur de faire le premier pas pour draguer.

Je ne dis pas qu'il faut que tout le monde fasse comme moi (j'ai parlé de moi parce que je suis la féministe que je connais le mieux), je dis qu'il faut que tout le monde fasse comme il le sent. Homme ou femme, chacun doit être libre d'adopter un comportement féminin ou masculin quand il en a envie, sans subir de pression (surtout si cette pression est exercée à un âge tendre), sans être puni pour avoir affiché un comportement correspondant trop ou pas assez au comportement attendu pour son sexe (c'est ce qui ressort du phénomène des slutwalks).
Et pour pouvoir choisir librement, il faut se servir de sa tête pour repérer les stéréotypes, comprendre d'où ils viennent et ce qu'ils signifient, identifier les mécanismes utilisés pour imposer les stéréotypes, remettre en question ses croyances, douter de soi. et affronter le regard des autres. C'est dur, ça fait peur, ça fait mal, mais la liberté est à ce prix.


Illustrations :
Capture d'un match de catch entre la fantastique Awesome Kong et Gail Kim à la TNA.
Portrait d'Emilie du Châtelet (1706-1749) par Maurice Quentin de la Tour. Une femme exerçant des activités masculines, ce qui ne l'empêchait pas de porter des p*tains de chouettes robes.


Edit au 20/06/2011 : l'article que Gabrielle nous avait promis dans les commentaires vient d'être publié !

jeudi 16 juin 2011

Petit Bateau pour grand naufrage

J'ai commencé au moins trois fois un billet sur le buzz Petit Bateau, j'ai supprimé ma production à chaque fois. Ce qui me touche, dans cette affaire, ce n'est pas le fond (des vêtements genrés, il y en a depuis longtemps) mais le fait que la plupart des réactions que j'ai vues prouvent que leurs auteurs ne voient pas où est le problème. J'ai donc voulu l'expliquer, mais j'ai trouvé que ma production était de piètre qualité et enfonçait des portes ouvertes.

Je réessaye aujourd'hui pour répondre à ce billet qui est construit, réfléchi, et sans noms d'oiseaux (ça nous change !) : l'auteure mérite une réponse construite, réfléchie, et argumentée. Promis, je n'utiliserai pas de noms d'oiseaux non plus !
J'aime ce texte car il reprend posément pas mal d'idées qui me semblent partagées par une bonne partie de nos concitoyens. Je vais répondre point par point à ce qui me parait être les phrases-clé. Evidemment, c'est mon opinion que j'exprime, ma vision du féminisme qui peut être contestée (ne vous gênez pas dans les commentaires). Je ne suis malheureusement pas sociologue  ni philosophe et j'emploie peut-être mal certains termes.

Allez, c'est parti.

"...quand je vois que certaines essayent de mettre du féminisme partout, même concernant les plus anodins des sujets, ça me gonfle."
Hélas, le féminisme dénonce un système sexiste et patriarcal. C'est-à-dire que le sexisme vient se nicher partout et que rien n'est anodin. Tout est lié : les mots qu'on utilise, les vêtements et les jouets des enfants, jusqu'aux violences sexistes les plus sévères. Les détails sexistes ont de grands effets. Il faut donc réfléchir à tout ce qu'on dit ou fait, tout remettre en cause. C'est chiant, fatigant, stressant, mais on a la satisfaction de fouler aux pieds les oeillères que notre éducation nous a greffées (et il y a quelques autres avantages...).

"des féministes [...] ressortent des études du CNRS sur l'influence que les images sexistes peuvent avoir sur les nourrissons... etc..."
Oui, des études (qui n'émanent pas que du CNRS : c'est un phénomène mondialement connu) prouvent que les nourrissons sont influencés par le comportement des adultes. Quand on les habille "en garçon" ou "en fille", le comportement des adultes envers les enfants change, et les enfants le ressentent. Ils apprennent vite à adopter des comportements suscitant notre approbation : une fille adoptera un comportement "de fille" et une garçon "de garçon". C'est un fait qu'il me parait important de rappeler. Citer des études permet, en outre, de montrer qu'il ne s'agit pas d'une opinion ni d'une marotte de vieille peau mal épilée, mais d'une vision étayée de la société basée sur une théorie mûre et éprouvée (n'en déplaise à Christine Boutin).

" Franchement... les associations féministes n'ont pas des causes plus importantes à défendre?"
Si, mais les associations s'en occupent aussi, ne vous inquiétez pas. C'est pas parce que les médias n'en parlent jamais que rien n'est fait (par exemple, tout récemment, une campagne a été lancée contre le viol conjugal). Mais dénoncer les pires violences (en France comme à l'étranger) n'est pas contradictoire avec dénoncer les outils utilisés pour reproduire le système qui permet ces violences.
Ici, l'outil, c'est le vêtement. Il a été prouvé que les jeunes gens reproduisent les stéréotypes, ça s'appelle l'effet Pygmalion.

"Que je sache, c'est une marque qui propose des vêtements sexués, comme plein d'autres.  "
Oui, c'est pour ça que personnellement je n'ai pas gueulé. Je suis blasée par ce que je vois dans les magasins et les boutiques en ligne (chez Vert Baudet par exemple : le pyjama fille, garçon, et bébé à venir dont le sexe n'est pas encore connu). Je n'ai pas été étonnée de l'existence de ces bodies, mis à part le fait qu'ils ont des manches longues, ce qui n'est pas des plus confortable en été.
Je crois que Petit Bateau a payé pour les autres. Ca s'est vu (il faut dire que le modèle est particulièrement gratiné) et la réaction a été épidermique. Le fait que ça touche les bébés a aussi ajouté à l'émotion. Une action réfléchie touchant toutes les marques (et pourquoi pas touchant aussi les jouets et la littérature enfantine...) serait plus logique. Mais aurait-elle été relayée par les médias ?

"On est en démocratie, on n'est pas obligé d'acheter si on n'aime pas!"
Je n'aime pas la clope, je n'en achète pas, mais je dénonce ses effets. Je n'aime pas ces bodies, je ne les achète pas, mais je dénonce leurs effets.

"Parce qu'on est dans un pays libre, les filles peuvent être des "garçons manqués", les garçons "efféminés". C'est cool.
Mais l'inverse est encore possible!"
Etre une garçon manqué ou un garçon efféminé, c'est quand même mal vu. J'ai le souvenir d'un camarade d'école qui faisait de la danse classique, il a pris cher.
Nous ne sommes pas libres d'être ce que nous voulons être : on nous impose des codes, et si nous sortons des clous, nous le payons. Voilà ce que le féminisme dénonce. A cela s'ajoute le contenu des codes : les qualificatifs attachés au féminin ne sont pas des plus flatteurs.

" C'est quoi le but? qu'on finisse tous en uniforme, et que les bébés soient tous en body gris unisexe à col Mao? Qu'on leur rase tous le crâne jusqu'à leurs 18 ans pour masquer leurs différences de sexe?"
Justement non. Le but est d'être libres de choisir d'adopter un comportement sans influence extérieure et sans encourir de jugement. Que les garçons comme les filles puissent porter des jupes ou des pantalons si ça leur chante, par exemple, et que personne ne puisse les juger. Personnellement, je porte des jupes, et je ne me maquille pas malgré une pression extérieure pesante (à ce sujet, j'ai écrit un billet  tout récemment et le fond de ma pensée a été donné dans les commentaires).
Ceci dit j'aime beaucoup les cols Mao.

"Moi je préfère que les féministes luttent CONTRE l'uniformisation... et tant pis si cette liberté a pour conséquence de laisser libre-champs à la création de fringues un peu nunuches à fleu-fleurs! Cet excès-là vaut mieux que l'inverse, non?"
Si les fringues à fleu-fleurs sont disponibles pour les deux sexes, il n'y a pas de problème (sauf que mon mari et moi aurions du mal à nous fringuer, on préfère les têtes de mort, vous voyez...).

"On va leur retirer la garde de leurs enfants pour cause d'éducation sexiste? Les envoyer en camp de rééducation de parents, les forcer à recourir à un coach en choix de garde-robe pour bébé féministement correcte?"
Faudrait pas exagérer. Nous demandons que les fabricants et les parents pensent aux conséquences de leurs actes en leur fournissant des informations qu'ils n'ont pas forcément. Forcer les gens à penser, c'est si méchant que ça ?

"Je suis sincèrement choquée par les jouets idiots provoquant une sexualisation précoce des enfants (comme les barres de pole-dance pour petites filles, ou les concours de mini-pouffes)... mais franchement, ces bodies, à côté, me paraissent bien inoffensifs."
Je suis d'accord. Mais les accessoires de mini-pouffe ont aussi fait gueuler. Les médias, encore une fois, en ont peu parlé. Je soupçonne que les journalistes aient relayé le buzz pour faire passer les féministes pour des gourdes qui luttent pour des points de détails. C'est faux : nous luttons contre les détails dont nous soulignons l'importance (faits à l'appui : les fameuses études sont là pour ça) ainsi que contre les choses graves. Mais dans ce dernier cas, c'est bizarre, les médias ne disent pas grand-chose...
Oui, j'accuse beaucoup les médias. Ils sont responsables à la fois d'une représentation sexiste des femmes mais aussi d'une vision caricaturale du féminisme.

"J'ai pour projet de mettre ma fille à la danse classique et mon fils au tennis... (je sais c'est furieusement tradi). Est-ce que je mérite moins d'être féministe?"
Ca dépend, le choix de la discipline leur a-t-il été imposé par l'extérieur ? Votre fille sait-elle qu'elle a le droit de faire du tennis ? Votre garçon sait-il qu'il a le droit de faire de la danse ? Si c'est un choix libre, je ne vois pas où est le problème. Sinon, je ne vous jetterais pas la pierre, d'une part parce que je n'ai pas à juger des choix d'une autre famille, d'autre part parce que ce n'est pas facile de pousser ses enfants à transgresser les règles sociales non écrites, pour les voir subir brimades et moqueries de la part de leurs camarades.

"Si on foutait un peu la paix aux gens, aussi?"
Tout à fait d'accord. J'aimerais que Petit Bateau nous foute la paix au lieu de m'imposer ainsi qu'à mes enfants des qualificatifs sexués.
Parce que les caractéristiques sexuées ne sont pas, pour le plupart, naturelles. Elles sont imposées par l'éducation à travers des outils comme ces bodies. Et au nom de ces caractéristiques, des femmes sont moins payées, frappées, violées, tuées. Le sexisme tue.

" Ah! et puis, ma fille, il y a quelques jours, m'a demandé un jouet aspirateur... "pour faire comme papa" (ben oui).
Enigme: Dois-je refuser, sous prétexte qu'une petite fille ne doit pas être éduquée de manière sexiste? Pourrais-je, en revanche, l'offrir à mon fils, sous les "houra" des féministes, applaudissant à la vue de mon éducation correspondant si bien aux nouveaux codes stricts du féministement correct?"
Si vous leur offrez à chacun un jouet qui leur fait plaisir, en leur transmettant par ailleurs une vision égalitaire de la société, là je dirai hourra. Si votre fille veut un aspirateur, pourquoi pas, à condition de lui expliquer qu'elle n'est pas obligée de le passer parce qu'elle n'a pas de pénis (l'exemple de son papa devrait suffire, de toute façon).

"C'est ridicule... un peu comme celles qui s'acharnent à vouloir féminiser tous les mots, auteure, ingénieure, basketteure... en confondant "genre" (grammaire) et "sexe" (vraie vie). On peut être féministe et se présenter comme "écrivain", non?"
Je ne suis pas certaine qu'il y aie consensus sur la question chez les féministes. Il me semble que la plupart d'entre nous (moi incluse) soit pour la féminisation des noms de métiers pour que les enfants n'acquièrent pas une vision sexuée de ces métiers. Par exemple, mon fils aîné a reçu un camion Playm*bil à Noël, avec deux p'tits pompiers dedans : un homme et une femme. Il m'a demandé ce que la femme faisait là, si elle aidait le pompier. Je lui ai répondu que non, elle était pompier. Il m'a alors demandé comment on disait : pompière, pompiette ? Ca lui a vraiment posé problème. J'ai beau dire, Mme Pompier a fini sur le siège passager et ne tient jamais la lance à incendie. Les mots sont importants ! Ils sont le reflet de notre pensée et cette pensée est forgée sur les mots. C'est un cercle vicieux qu'il faut bien briser à un moment ou à un autre.
Par ailleurs, le "genre" n'est pas qu'une notion grammaticale. Il s'agit aussi d'une notion sociologique (voir et surtout là). Peut-être qu'en apprendre plus sur le sujet (si ce n'est fait) vous permettrait de mieux comprendre pourquoi nous trouvons que ces notions sont importantes. Cette notion est au coeur du féminisme dit "de troisième vague".

"Il y a tellement de luttes féministes plus importantes! Il faudrait mieux hiérarchiser les problèmes."
Il faudrait surtout que le grand public soit au courant de ce qui se passe réellement dans les milieux féministes... Vous verriez que les grands problèmes sont aussi combattus que la myriade de détails qui les causent.

" Je suis -très- féministe, mais....
... ce ne sont pas des mouvements comme ceux-ci qui vont me donner envie d'adhérer à une quelconque association féministe."
Ce mouvement anti-Petit Bateau ne me semble pas être le fait s'associations, mais d'individus.

Je serais curieuse de savoir ce que c'est, pour vous, être féministe. Etre pour la parité ? L'égalité des salaires ? Lutter contre les violences conjugales ? C'est tout cela, bien sûr, mais c'est aussi, à mon sens, être conscient des questions de genre, remettre perpétuellement en question ses croyances et ses habitudes et lutter pour faire cesser la reproduction du système sexiste.
Si on emmerde le monde, il y a une raison... On a mieux à foutre de notre temps que troller la page Facebook de Petit Bateau !


Edit : Je rappelle que les commentaires de ce blog sont impitoyablement modérés. Je suis ouverte à la contradiction, à condition qu'elle soit argumentée et exprimée posément. Un commentaire du type "Beuarf c'est ridicule", par exemple, sera rejeté par la modération.

lundi 13 juin 2011

C'est toi l'champion, Gaston !

Nous avons profité du long week-end pour revoir "La Belle et la Bête" de Disney. C'est un film que j'aime bien depuis sa sortie, quand j'étais une petite fille (les mauvaises langues diront que j'ai pas beaucoup grandi depuis...). Mon hobbit l'aime bien aussi, vu qu'il aime bien les trucs de fille en général.

Le personnage de Belle change un peu des princesses Disney. Elle est jolie, dévouée et gentille, d'accord, mais elle est aussi courageuse, cultivée et intelligente. Bon, ses lectures se bornent à des romans, Belle est une rêveuse, pas une philosophe. N'empêche qu'au moins, elle sait lire, je ne suis pas certaine qu'Aurore puisse en dire autant.
J'aime aussi le fait qu'elle ne se laisse emmerder ni par Gaston ni par la Bête. On pourrait trouver qu'elle est têtue et querelleuse, mais c'est surtout une femme de caractère.
Elle n'a pas peur de sortir seule en pleine forêt et elle n'attend pas qu'on vienne la sauver. Elle vole au secours de son père, et la Bête. Elle s'enfuit seule en pleine nuit du château où elle se sent menacée. Elle lutte contre les loups, avec peu de succès, certes, mais au moins elle ne se couche pas dans la neige en attendant qu'un autre mette une branlée aux bestiaux.

Face à ce personnage étonnant, nous trouvons Gaston. Il a tout pour plaire, celui-là. Dès sa première apparition, il descend un canard : Gaston est un chasseur, un carnivore invétéré qui avouera plus tard, au détour d'une chanson, gober les oeufs par douzaine depuis l'enfance. Il picole. Il dédaigne la connaissance et balance le livre favori de Belle dans une flaque de boue. Pour couronner le tout, il est monstrueusement poilu et fier de l'être (ça pique les yeux).
Gaston est sûr de lui et de son pouvoir de séduction. Il a jeté son dévolu sur Belle, la seule qui le dédaigne. Il est donc dans une logique de conquête plus que de séduction. Pour parvenir à ses fins, tout est bon, même le chantage. Le refus de Belle l'encourage à faire preuve d'une extrême violence. Pour être un homme et retrouver sa virilité, il ressent le besoin de se battre, et de tuer des animaux. Il est possessif, et considère que Belle lui appartient.
Ce qui est glaçant, c'est que son assurance de beauf reçoit l'approbation de la communauté. On l'admire, on l'applaudit. Belle est considérée comme bizarre, Gaston est un homme, un vrai. Comme dit la chanson, "c'est toi l'champion, Gaston !". Ah ouais, c'est un vrai winner, que Disney nous a pondu.

La Bête, au début du film, est un peu dans le même délire viril. Il retient Belle captive, il veut la forcer à dîner avec lui. Mais lui, au contraire de Gaston, accepte de se civiliser, par le contact tendre et respectueux avec les animaux (il nourrit les petits oiseaux avec l'aide de Belle), en se tenant correctement à table, en réapprenant à lire (scène de la version longue), et en retrouvant une hygiène corporelle. L'amour le conduit à libérer Belle : c'est en égaux, et non pas en tant que geôlier et prisonnière, qu'ils pourront finalement s'aimer. Au final, la Bête sacrifie par amour sa chance de redevenir un humain, avant d'épargner la vie de Gaston, lequel est qualifié de "monstre" par Belle. Le monstre est humanisé par ses rapports respectueux avec les autres tandis que l'humain se comportant en mâle dominant devient le véritable monstre.

Ce film m'a donné l'occasion d'aborder un sujet sensible avec mon fils : on ne force pas une fille à passer un moment romantique si elle ne le veut pas. Un moment romantique, pour mon petit bout qui ne sait pas précisément comment on fait les bébés, c'est un baiser, un câlin, une danse : ce n'est pas encore la sexualité, mais le respect commence déjà là. Gaston veut épouser Belle sans se soucier de son consentement, tandis que la Bête, au début du film, veut l'obliger à dîner avec lui. Mon mari et moi avons bruyamment exprimé notre dégoût devant le comportement de Gaston et la Bête et le message est passé facilement. Gaston s'est pris des insultes de la part de notre petit bonhomme tout le long du film ("crotte de nez" et "caca boudin"). Les manières impeccables de la Bête à la fin du film ont reçu son approbation.
C'est quand même pas sorcier, elle a dit NON, la dame, un gosse de 4 ans comprend ça très bien ! Mieux que certains énarques, en tout cas. Je ne vais pas briser son innocence en lui expliquant que ce genre de choses peut arriver dans la réalité. Je me borne à ancrer dans son esprit l'importance du respect du consentement, avant que les médias et la société n'interviennent. Par les temps qui courent, ça me parait primordial et tous les outils sont bons à prendre.

jeudi 9 juin 2011

Peau de pêche et oeil de biche

Ce matin, Olympe nous a rapporté l'existence de la journée sans maquillage au Québec.

Personnellement, je ne me maquille jamais. Quand je dis jamais, c'est bien jamais. Quand j'ai déménagé, il y a un an, j'ai retrouvé mes vernis à ongles et rouges à lèvres séchés dans mon armoire : j'ai tout balancé. Je n'ai plus qu'une palette qu'on m'a offerte (j'aime pas jeter les cadeaux) et que j'ai gardée au cas où. Je ne me maquille jamais pour les conférences, je ne me suis même pas maquillée quand j'ai soutenu ma thèse.
Je hais le maquillage. Ca fait perdre un temps précieux dans la salle de bains, c'est chiant à mettre (je ne suis pas très adroite), ça prend de la place dans les armoires, ça coûte chez si on veut de la bonne camelotte, on ne peut pas se frotter les yeux ou se gratter comme on veut, on n'a pas le droit de pleurer, et le mascara fait des traces sur les lunettes. Bref, c'est un immense gâchis de temps, d'argent et d'énergie.
Et puis je vis bien avec ma tronche, je ne ressens pas le besoin de la modifier. Quand je vois des photos de moi maquillée, j'ai l'impression de voir une caricature. Je peux comprendre une femme qui me dirait qu'elle aime bien se voir maquillée, mais je ne pourrai pas m'empêcher de me demander pourquoi et d'imaginer qu'elle est influencée par une norme nauséabonde.

Pourquoi devrait-on se maquiller ?
Je reste persuadée que l'idéal féminin est lié à l'idée qu'on se fait de la nature. J'ai esquissé cette idée à partir de mythes grecs et je continuerai de développer ma théorie. Les humains projettent sur le corps des femmes leur rapport à la nature ; en tant que porteuse de l'enfant à naître, la femme est ambassadrice de la Nature, de la Terre.
La nature est, par certains aspects qui nous procurent du plaisir, belle ; elle est aussi, par d'autres aspects, dangereuse, désagréable, laide. Il faut donc, pour en profiter sans crainte, qu'elle soit domestiquée : on dresse et parque les bêtes, on sélectionne les races les plus agréables au sein d'une espèce, on crée des jardins d'où ce qui est laid ou dangeraux est banni et où ce qui reste de la nature est taillé, entretenu. Le corps féminin doit, dans le même élan, être débarrassé des ses attibuts de bête fauve (épilation), ce qui reste en elle de naturel doit être domestiqué et entretenu (coiffure), et ce qu'il y a de charmant en lui doit être mis en évidence (maquillage et tenue à la mode).

Les yeux sont maquillés pour rappeler le regard d'un animal dont la conquète est un trophée pour le chasseur. Le regard de velours ainsi obtenu rappelle la fourrure de la bête.
Les lèvres prennent, grâce aux rouges à lèvres, une couleur et un aspect pulpeux rappelant les fruits. L'aspect humide procuré par un gloss évoque un pétale de fleur couvert de rosée. Vous pensiez à autre chose, grands dégoûtants ! ;-)
Les ongles vernis de rouge (traditionellement) évoquent les griffes ensanglantées d'une bête féroce. Bête qui est évidemment domestiquée, comme le rottweiler des voisins.
Les fond de teint et soins donnent l'aspect d'une peau de pêche, avec des coloris rappelant le sable, ou encore les fruits (abricot, noisette...) et les fleurs (rosé...).
Les parfums ont des touches florales (rose, jasmin...), animales (musc, civette, ambre gris...), de fruits (citron...).
La mode est aux produits "naturels" (on ne va pas vous dire que vous étalez sur votre peau des produits chimiques testés sur de culs de singe, quand même !), avec des composants minéraux et végétaux.


Tout ce qui compte, c'est l'apparence : il faut se montrer, plaire, et en plus on est censées aimer ça... Le marketing des marques en profite. Regardez la vitrine d'une parfumerie que j'ai vue récemment...



Illustrations :
Jeune suédoise de 19 ans avec du maquillage (source)
Photo © Bourjois (source)
Colours (source)
Devanture d'une boutique Sephora (©une tof de moi)

mercredi 8 juin 2011

L'après-DSK, le rapport Grésy : des espoirs

Les choses bougent. L'actualité nous fournit des raisons de croire en une amélioration significative de la condition des femmes. Pourtant, je suis pessimiste.

Bien qu'elle soit sordide, l'affaire DSK pourrait forcer les gens à réaliser à quel point notre société est machiste. On rêve donc d'un "après-DSK".
Après l'affaire DSK, les gens reconnaîtront enfin que le viol, c'est grave.
Après l'affaire DSK, les journalistes parleront enfin des affaires de harcèlement sexuel commis par les politiques.
Après l'affaire DSK, le grand public aura saisi l'ampleur du sexisme ordinaire.
Après l'affaire DSK, les femmes victimes de viol oseront porter plainte, même si leur agresseur est riche, et puissant.
Grâce à l'affaire DSK, "Beaucoup de certitudes ont volé en éclats", d'après Chantal Jouanno.
L'affaire DSK aurait rendue possible une prise de conscience de la gravité et de la fréquence du harcèlement sexuel.
Les politiciens harceleurs et violeurs sont menacés d'exclusion par leurs partis.

Oui, il y a eu beaucoup d'articles dans les journaux, sur le web, à la télé. Des femmes politiques ont pu s'exprimer sur leur vécu quotidien. Les blogs ont relayé. Les chiffres ont été redits. 75000 viols par an, en France. 10% des viols entraînent une plainte et peu de plaintes entraînent un procès aux Assises. Les violeurs appartiennent à toutes les classes sociales, mais les prolos sont majoritaires parmi les accusés aux Assises. On ne peut que se réjouir de voir la loi du silence brisée, et la réalité du viol enfin exposée.
C'est des choses qu'on sait depuis longtemps mais que les médias semblent découvrir. Alors, comme viol et agression sexuelle sont des sujets susceptible de faire vendre (bah oui, il y a du sexe et de la violence !), ils en parlent. Et après ?
Après, les médias parleront d'autre chose. Une catastrophe écologique ? La famine ? Un accident ? Un attentat ? C'est pas les occasions qui manquent. Et les chiffres, on les oubliera. Ce ne sont que des chiffres. Tant que l'une des victimes n'est pas une personne qu'on connait, les violences restent abstraites. Evidemment, il y a les victimes qui pleurent à la télé, mais ce qui passe à la télé est toujours exceptionnel, c'est pas la vraie vie. On entendra encore le "rhoooo, tu te rends compte, quand même ?" de Germaine à la machine à café, mais elle parlera d'autre chose.

Les inégalités salariales sont connues, mais rien ne bouge. L'ampleur des violences conjugales sont connues, des lois passent, mais cessent-elles pour autant ? Les lois antiracistes et la médiatisation des faits divers liés au racisme ne l'ont pas éradiqué. La loi du silence a été momentanément brisée, mais il ne faut pas se leurrer, il en faudra plus pour que le système sexiste soit ébranlé. En parler, c'est bien, sévir contre les agresseurs, c'est nécessaire, mais pour que cela cesse, nous avons besoin d'une réflexion de fond, d'une prise de conscience collective. Il faut que chacun se sente concerné.


Le rapport de Brigitte Grésy génère, lui aussi, des espoirs.
Le congé d'accueil de l'enfant est le point le plus commenté du rapport. Les papas auront un mois à passer avec leur enfant. Ceci devrait créer un lien plus fort entre le père et l'enfant, lien qui perdurera et permettra d'atteindre l'égalité de partage des tâches. Je connais énormément de pères (dont mon cher et tendre époux) qui auraient aimé avoir plus de temps avec leur bébé, aussi je me réjouis de cette proposition. C'est une bonne nouvelle et je crois fermement qu'il faut suivre le conseil de Brigitte Grésy.
En revanche, je refuse de croire que cette mesure résoudra comme par magie le problème de l'égalité hommes-femmes au travail et celui du partage des tâches domestiques. C'est pas parce que les papas passeront un mois à la maison avec leurs enfants qu'ils passeront plus l'aspirateur. Je suis même prête à parier que, chez les couples ne partageant pas les corvées, pendant le congé de papa, maman rentrera le soir pour trouver papa jouant à la Playstation, et devra ranger le bordel qu'il aura semé pendant toute la journée, faire la vaisselle de midi, s'occuper du gamin dont la couche est restée pleine, et faire le ménage. En moyenne, peut-être que les pères auront créé un meilleur lien avec leurs enfants et passeront un temps de meilleure qualité avec eux (c'est toujours ça de gagné !). Mais pour que le partage des tâches soit égalitaire, il faut rééduquer les hommes et les femmes : que les femmes oublient leurs réflexes inculqués à coup de dînette et de poupons, que les hommes apprennent à avoir ces réflexes. Là encore, nous avons besoin d'une réflexion de fond, à laquelle doit participer la société dans son ensemble. C'est tout un conditionnement qu'il faut détruire.


Pour que chacun se sente concerné par les violences sexistes, pour que les conditionnements soient détruits, on a besoin d'une volonté forte des gouvernements. Il faut informer, éduquer, par un matraquage médiatique s'il le faut. Ca passe par une éducation à l'école, par une responsabilisation du marketing (jouets, cadeaux pour la fête des mères ou la fête des pères...). On n'a pas conditionné et déresponsabilisé les foules facilement : c'est tout un système qu'il a fallu mettre en place. C'est un système alternatif, plus juste, qu'il faut aujourd'hui créer et installer.


Edition du 12 juin : Les Nouvelles News viennent de publier une chronique de Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre, sur les conséquences de l'affaire DSK.
"Il serait sage de tempérer l’enthousiasme de ceux qui pensent que la triste affaire DSK va changer du jour au lendemain la place des femmes dans notre société. En effet, pour que la féminité soit enfin prise au sérieux, il faudrait un véritable bouleversement des mentalités, une révolution au sens littéral du terme. Cela signifierait un changement radical des repères et donc un effort considérable de la part personnes qui les véhiculent et les valorisent. Cela vaudrait pour la politique, mais également dans la vie quotidienne aussi bien professionnelle que privée. Les habitudes sont bien trop solidement ancrées pour que cette mutation soit rapide."
La suite * ici * !

Illustrations :
Des femmes de ménage venues huer DSK (source)
Brigitte Grésy (source)

dimanche 5 juin 2011

Qui suis-je ?

Je suis un être avec un double personnalité. Une pour le jour, une pour la nuit. Un être mi-humain, mi-animal.

Le jour, je suis une personne reconnue pour son charme et son élégance.
Je travaille beaucoup, je cumule plusieurs postes, en fait. Je gère un groupe de personnes. Même si on me prend fréquemment pour un imbécile, on me confie des tâches variées. Mais il faut avouer que, pour les choses vraiment sérieuses, je laisse ma place à des personnes plus compétentes que moi. Ce n'est pas moi qui prends les décisions les plus importantes pour le groupe, en fait.
Je prête beaucoup d'attention à ma tenue. Mon apparence est toujours plus commentée que ce que je fais. On me prête volontiers un caractère frivole.
Je passe aussi pour quelqu'un de fragile, qui ne peut pas se débrouiller tout seul.
On me tient pour une personne gentille et généreuse. Je protège les faibles en exploitant mes propres ressources pour assurer leur confort matériel. Comme tout le monde sait que je possède ces ressources, on attend naturellement de moi que je prenne soin des autres.

La nuit, je me transforme. La part d'animal qui sommeille en moi se réveille.
Ma tenue change alors. Je porte volontiers du noir, du cuir, du latex, du vinyle.
Je porte un masque, car j'incarne un principe. Je n'ai plus d'identité propre, je ne suis plus qu'un corps agissant pour la liberté des autres.
Quand mon talent ne suffit pas, j'utilise des gadgets.
Mes actes sont influencés par les traumatismes de mon enfance. Je me mets en danger pour rendre service aux autres. Je m'oublie pour eux. Je me damne pour leur rédemption. Mais je ressens quand même un frisson lorsque je suis en pleine action, j'aime l'aventure, j'aime tenter de nouvelles choses. Je tente, par mes actes toujours plus fous, toujours plus dangereux, de combler un vide ; mais quand tout est fini, le vide est toujours là, alors il faut recommencer... A chaque fois, j'y crois, à chaque fois, je crois que ça suffira à me combler. A chaque fois je suis déçu, et un peu plus abîmé, à chaque fois, le vide se creuse.
Je suis sans cesse menacé par des être diaboliques. Ils sont déjantés, ils n'ont rien d'humain, bien sûr. La violence ne peut être qu'exercée par des fous furieux, pas par des gens normaux.

Je n'existe pas. Je suis un personnage de fantasme créé par les humains.
Je suis érigé en exemple éducatif. Certains veulent me ressembler, d'autres veulent m'avoir à leurs côtés. J'ai été décliné en jouets, en poupées, en figurines.
On m'a souvent dessiné. Les acteurs les plus cotés m'ont incarné au cinéma et à la télévision. J'ai même inspiré des musiques, quelquefois déjantées. Mon côté caricatural, exagéré, a été exploité autant que mon côté grandiose.
Mon image est utilisée couramment pour vendre des objets. Mon apparence est massivement exploitée dans le commerce.



Non, je ne suis pas Batman.
Je suis la femme parfaite. Lafâme, comme dirait Mademoiselle. Celle qui est maman le jour, putain la nuit. Celle qui est perpétuellement menacée par le Grand Méchant Loup.
Comme Batman, je n'ai pas de super-pouvoirs, mais j'ai de grandes responsabilités. On lui demande de veiller sur la ville, on me demande de veiller sur ma famille.
Comme les citoyens de Gotham n'arrivent pas à imaginer Bruce Wayne en costume de Batman, on a du mal à concilier l'image de la gentille Maman et de la vilaine Putain qui pimente les nuits de Papa. Pourtant, comme le dit Val Kilmer à la fin de Batman Forever, je suis les deux.
Je suis comme Batman : une créature imaginaire. Mais, alors que tout le monde s'accorderait pour reconnaître qu'un homme qui se prendrait pour Batman serait fou, nous nous accordons pour penser qu'une femme qui ne me ressemble pas est folle. On ne demande pas aux enfants de ressembler à Batman, alors qu'on demande aux petites filles de me ressembler, et aux petits garçons de me rechercher.

Cette comparaison est tordue ? Oui. Mais faut avouer que le modèle féminin qu'on nous impose est tordu aussi. Il n'a rien à envier à Batman, si on y réfléchit. La différence, c'est qu'on a appris à ne pas le remettre en question.

mercredi 1 juin 2011

Rien de grave

De quoi se plaint-on ? On a le droit de vote, on peut travailler, gérer notre argent comme nous l'entendons, on a la contraception, l'avortement, des lois qui nous protègent contre les violences... Alors pourquoi les femmes politiques viennent-elles pleurnicher pour quelques blagues ? On a le droit de rigoler, quand même ! Et même quand la vanne clairement insultante, une blague n'a jamais tué personne. Les petites remarques ? C'est jamais méchant, un peu lourd, d'accord, mais faut pas se formaliser pour si peu. Les femmes françaises ont de la chance, regardez les Afghanes !

On pourrait penser que cette ambiance est propre à la classe politique. Les politiciens ne sont pour la plupart plus tout jeunes, ils fonctionnent encore avec une mentalité d'un autre âge ; les hommes craignent de partager le pouvoir, les femmes de pouvoir font peur ; les hommes politiques sont connus pour leur libido dévorante, ils deviennent cons quand une nana leur passe sous le nez. Pour Najat Vallaud-Belkacem, si le sexisme en politique est "plus insidieux qu'ailleurs", il est surtout l'expression d'"un des travers les mieux partagés de la société française". Le succès du livre et du site Vie de Meuf soutiennent cette affirmation. Les petites vannes, les petites phrases, c'est tous les jours, et pour toutes les femmes. Avec le temps, on ne s'en rend même plus compte.

Voilà un petit florilège de ce que j'ai pu entendre dans mon milieu professionnel. Les auteurs de ces petites phrases sont tous titulaires d'un diplôme d'ingénieur et/ou d'un doctorat. Des gens intelligents, quoi. Ils sont jeunes, ils font partie des hommes qui sont censés partager les tâches ménagères et tout ; ce sont ces "nouveaux pères" dont nous parlent les médias. En crochets, j'ajoute ce que j'aurais répondu si je n'étais pas restée muette comme une conne (ben oui, j'ai beaucoup plus de gueule à l'écrit, chez moi, qu'à l'oral sur le coup, bizarre, non ?).

"Quoi ? Tu ne collectionnes pas les sacs à mains ???"
"Tu fais ta valise ? Ca va être lourd, avec toutes les chaussures que tu vas prendre !" [J'ai qu'une paire, et elle va bientôt atterir dans tes roubignoles]
"Femme au volant, mort au tournant !"
"Nesp*esso a sorti une capsule rose, t'es contente ?"
"Regarde, il y a un troupeau de meufs à la table d'à côté !"[meuh !]
"Pourquoi tu ne mets pas une jupe ? C'est plus joli !"[t'as un pot de fleurs sur ton bureau, ça te suffit pas ?]
"Les femmes entre elles, c'est l'horreur, toujours à se tirer dans les pattes !" [dixit le mec qui n'hésite pas à marcher sur la gueule des collègues]
"Tu sais à quoi on reconnait qu'une blonde a utilisé un ordinateur ?" [elle te l'a déplanté ?]
"Ah non, je ne prends pas de sucre dans le café, chuis pas une gonzesse !"
"Ma femme va s'arrêter de bosser pour s'occuper des gamins. Comment ça, pourquoi pas moi ? Tu te fous de ma gueule ?"
"Les femmes, vous voulez l'égalité, faut commencer par porter les packs d'eau !"
"Ah ! Les hormones !" [Tu veux qu'on cause des effets de la testostérone ?]
"Maintenant qu'on a trois femmes dans le service, elles vont vouloir discuter pipole !" [dit dans une service de 15 personnes par un mec qui impose quotidiennement des discussions sur le foot]
"Hé, les filles, pourquoi vous ne faite jamais de gâteau ?"[et pourquoi tu te sors pas les doigts ?]
"Pourquoi tu ne lui offres pas une dînette, à ta nièce ? C'est bien, une dînette, pour une fille..."
"Tu vas offrir un PC portable à ta femme ? C'est cher, comme cadeau, quand même, surtout pour ce qu'elle va en faire !"
"Ta fille a 13 ans ? Tu vas voir, elle va bientôt te ramener des garçons !" [trop jeune pour être maman, elle sera putain, forcément !]
"Tu sais lire une carte ??? C'est pas possible !"
"T'as vu comment elle est habillée, aujourd'hui, Claudine ? Elle le cherche ! Mais avec sa tronche..."
"Salut la [nom de métier de l'interlocuteur mis au féminin] !"
"Faut balayer le bureau..." Il me tend le balai.
"Ton mec part bosser à *** ? Il n'y a pas de boulot pour toi, là-bas ! Prépare-toi à faire femme au foyer !" [ouaf ! ouaf ! elle va le suivre comme une bonne petite chienne !]
"Attends, qu'est-ce qu'elle faisait dehors à 4h du matin, aussi ?" [il y a un couvre-feu, pour les femmes ?]
"Tu pars 3 jours ? Ce sera le bordel, quand tu vas rentrer chez toi !" [justement, pour une fois, ce sera rangé. Mais toi, c'est le bordel dans ta tête.]
"Mets une jupe quand tu présenteras ton travail !"
"T'as pas beaucoup bronzé, cet été !" [c'est pas dans les musées qu'on bronze, par contre, toi, t'es toujours aussi con !]
"Le football féminin, c'est nul, c'est lent. Par contre, c'est bien quand elles enlèvent le maillot à la fin !" [dédicace spéciale à Gabrielle !]
"Tu prends encore des frites ? Mais tu ne fais pas attention à ta ligne ?" [j'ai aussi pris du chou et du Coca, tu vas être content qu'on bosse en open space !]
"Tiens, j'ai ramené le journal ! Pour les filles, il y a un supplément féminin !"
"Ah, les gonzesses ! Vous voulez absolument un jardin, mais quand il faut tondre il n'y a plus personne !"
"T'as trois filles ! La vaaaaaaaaache ! C'est pas trop dur, pour toi, à la maison ?"

Et puis il y a ces comportements.
Ces réunions au cours desquelles les femmes sont silencieuses pendant que les hommes parlent ; quand elles ouvrent la bouche, c'est pour poser une question, quelquefois en s'excusant. Ces discussions à la machine à café où seules les hommes parlent, plastronnant, pendant que les femmes écoutent en souriant. Ces dialogues où, quoi qu'elle dise, la femme qui a donné son avis est contredite sur un ton péremptoire. Ces hommes qui donnent des conseils non sollicités. Ces hommes qui courent littéralement régler les appareils électroniques avant vous.

Rien de grave.
Juste des petites remarques faites par des beaufs.
Juste des photos de femmes à poil accrochées au-dessus de la machine à café, "pour déconner".
Juste des petites blagues, pas toujours très drôles.
Juste des types qui veulent rendre service, pour aider la petite dame.
Juste des petits surnoms.
Juste des petites généralisations.
Juste le sexisme ordinaire.
Rien de grave.

Mais au bout du compte, vous souffrez. Pas parce qu'on a été violent un jour avec vous, mais parce que la violence a été distillée patiemment, tous les jours, pendant des années. Votre résistance est sapée, votre moral est usé.
Alors vous la mettez, cette foutue jupe. Vous le faites, ce foutu gâteau. Vous ne parlez plus en réunion. Vous l'achetez, ce GPS qui lira la carte que vous n'avez pas le droit de savoir lire, et vous le faites régler par votre compagnon, parce que vous ne pouvez pas savoir utiliser un appareil électronique. Vous perdez confiance en vous. Vous vous écrasez. Vous allez faire du shopping et vous commencez un régime pour que les remarques sur votre physique et votre tenue s'arrêtent. Vous évitez les sujets où on vous contredira (politique, économie, actualité...).

Rien de grave.
Juste du shopping, juste un régime.
Juste un léger changement de comportement.
Juste quelques concessions.
Juste quelques arguments pas exprimés, juste quelques silences.
Juste votre fierté ravalée, juste votre orgueil piétiné.
Rien de grave.

Vous êtes solide. C'est pas parce que vous faites un régime que vous finirez anorexique. C'est pas parce que vous perdez un peu confiance en vous que vous finirez dépressive. C'est pas parce que vous vous mettez un peu en retrait que votre carrière en prendra un coup.
Et celles qui s'écroulent pour si peu, c'est de leur faute, pas de celle des beaufs triomphants qui les ont minées. Ne changeons rien, surtout, on risquerait de ne plus avoir le droit de blaguer.