vendredi 16 mars 2012

A tous ceux qui râlent que les féministes ont mieux à faire que faire interdire le "Mademoiselle"...

Ces derniers temps, on accuse les féministes, en gros, d'enculer les mouches juste pour faire chier le monde. Plutôt que de se mobiliser pour des futilités comme l'usage de "Mademoiselle", de râler sur des bodys pour bébés, elles feraient mieux de lutter contre les vraies causes : les inégalités de salaire, les violences conjugales, l'excision...

C'est une accusation profondément injuste.

Les féministes luttent pour ces causes. Citons en vrac la campagne contre le viol d'Osez le Féminisme, la campagne Pas de justice, pas de paix, les actions de la Fédération GAMS, la campagne du Laboratoire de l’Égalité pour l'égalité salariale...
Merde, il y a des choses qui se font ! Accuser les féministes de ne se préoccuper que de futilités, c'est cracher à la gueule de toutes celles qui se bougent au quotidien, qui se battent bec et ongles pour la liberté, la dignité et le bien-être de celles-là mêmes qui les montrent du doigt sans pour autant prendre la peine de militer elles-mêmes.

Parmi ces actions, certaines n'ont pas ou peu été relayées dans les médias. D'autres l'ont été, mais n'ont guère été commentées (quel fatalisme !) et ont été oubliées sitôt la dernière affiche arrachée. D'autres, enfin, ont été taxées de victimisation, ont été critiquées sur la forme, et ont été rejetées comme peu sérieuses.
De l'autre côté, les actions prenant une forme jugée "futile" ont été très relayées, très commentées dans les journaux en ligne, très commentées sur les blogs, et ont fait causer au pied de toutes les machines à café de France.

Il y a une profonde différence entre ce que le grand public, si prompt à porter un jugement sur les travail des autres, attend du féminisme, et ce qu'est réellement le féminisme.
La plupart des gens, excepté quelques monstres d'égoïsme ou de mauvaise foi, souhaitent une égalité visible : égalité salariale, égalité à l'accès à l'emploi, éradication des viols, assistance aux victimes (quand on est sûrs qu'elles le sont bien). Le tout, bien sûr, sans victimisation, sans stigmatiser les hommes, sans oublier les hommes victimes de violence, sans toucher à la présomption d'innocence, sans uniformisation des sexes, sans remettre en question les universelles féminité et virilité... Combattre, oui, mais sans interroger, sans bousculer, sans accuser, sans remettre en cause les traditions, les habitudes, le sacré, sans faire réfléchir, et surtout en restant glamour.
Le sexisme, c'est toujours les autres. S'il y a des inégalités salariales, c'est à cause de quelques patrons-salauds, pas de l'ensemble de la société. S'il y a des viols, c'est à cause de quelques pervers. S'il y a des femmes battues, c'est à cause de quelques maris violents. Il faut trouver les méchants et les punir lourdement. Ensuite, nous pourrons dormir tranquilles, enfin, surtout papa, parce que maman va se coucher tard pour finir le ménage, se lever tôt pour préparer le petit déjeuner, et se lever la nuit pour calmer bébé. Mais ça n'a rien à voir.

Avec de telles attentes, il ne faut pas s'étonner d'être perpétuellement déçus par les féministes.
Nous serions bien légères si nous nous bornions à tendre des kleenex aux victimes, si nous nous limitions à manifester devant les tribunaux. Il faut aussi identifier les causes des violences, et proposer des moyens de prévention.
Le sexisme n'est pas l'affaire de quelques fous furieux mais de la société entière. Le sexisme trouve sa racine dans la structure de la société, dans la construction des individus, dans nos traditions, dans notre identité, dans tout ce que nous avons de sacré. On ne peut donc faire avancer l'égalité des sexes sans remettre en cause des croyances ni sans poser des questions qui dérangent. 

Accepter de se poser des questions sur la place des deux sexes dans la société n'est pas facile. Journalistes, blogueurs, commentateurs comme animateurs de machine à café auront, devant une action féministe, quelle qu'elle soit, un mouvement de recul, de défense, de refus. C'est humain. Mais rares sont ceux qui ont la force, la curiosité, l'honnêteté intellectuelle de chercher à comprendre la signification de ces actions pour rendre compte de leur réalité.
Il est bien plus aisé de pondre un billet d'humeur truffé de clichés, sans aucune source, aucun nom, visant juste à tirer à vue sur des personnes qui ont eu l'outrecuidance de questionner la société. Soit on victimise à outrance, soit on accuse à tort, soit l'action ne touche qu'un épiphénomène, soit un point de détail de la société.

Dans le cas particulier de la campagne Madame ou Madame, la virulence des réactions cache, dans tous les cas que j'ai été amenée à rencontrer, une angoisse terrible à l'idée de perdre ses repères et de remettre en cause le rôle social des femmes. Or, ce rôle social est exprimé verbalement par l'utilisation systématique de "Madame" et "Mademoiselle".
"Mademoiselle", c'est l'enfance, la pureté, la naïveté. C'est aussi la princesse, l'actrice, à mi-chemin entre la putain et la muse. Mademoiselle est un fantasme, un objet de désir.
"Madame", c'est la respectabilité, l'expérience de la vie, la maternité. C'est la femme décorative, au bras du mari qui l'a conquise, c'est la mère douce et ignare incapable de créativité. Madame est un refuge, un objet familier.
L'utilisation de ces deux civilités dans les papiers, des impôts à la facture EDF, légitimise la dichotomie de l'ensemble des femmes. Vous n'avez pas le choix, il faut être l'une ou l'autre, et votre statut marital définira la manière dont on vous voit. Impossible de choisir entre ces cases, impossible de sauter allègrement de l'une à l'autre, impossible de jouer avec ces cases ou de déformer leurs contours, impossible de refuser d'entrer dans une case. 
"Madame", "Mademoiselle", ce ne sont que des mots. Les mots tuent-ils ? Oui. Car la demoiselle est à conquérir, la dame est à conserver. Dans tous les cas, elles sont des objets manipulables, des personnes irresponsables qu'on se doit de châtier en cas d'écart. Ces mots sont le symptôme d'un état d'infériorité sociale des femmes. Faire disparaître un symptôme n'est pas éradiquer la maladie, mais ça permet de vivre mieux.

A tous ceux, donc, pensent que nous avons mieux à faire que faire interdire le "Mademoiselle", demandez-vous pourquoi vous n'entendez jamais parler des autres combats.
Ensuite, demandez-vous pourquoi ces petits mots il déchaînent autant les passions.
Et enfin, demandez-vous si ce combat particulier est si anodin que ça.
Après, et après seulement, vous pourrez porter un jugement sur les actions de personnes qui ont au moins le mérite réfléchir et de se bouger.

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D'autres réponses :  
Celle de Marie Donzel
Celle de Geneviève Fraisse
Celles des membres du forum feminisme.fr-bb.
Héloïse, à propos des tirets et des parenthèses

Illustrations :
Un des 4 visuels de la campagne du Laboratoire de l'Egalité
Un des visuels de la campagne Pas de justice, pas de paix.
Anne Marie Louise d'Orléans, duchesse de Montpensier (surnommée la Grande Mademoiselle) tenant un portrait de son père Gaston de France, par Jean Nocret, XVIIème siècle.


31 commentaires:

  1. Entièrement d'accord, c'est la même discussion autour de la pétition pour la révision de la règle de grammaire "le masculin l'emporte sur le féminin" que remet en cause la pétition "quel les hommes et les femmes soient belles". L'essentiel c'est de se battre sur les différentes formes que prend la domination masculine, le système patriarcal et d'articuler nos luttes.

    Trompes de Fallope

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    1. Oui ! On ne peut hélas pas être partout, mais attaquer successivement les différentes symptômes du patriarcat me parait essentiel.

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  2. merci pour ces mots
    Ce qui m'a particulièrement choquée dans les commentaires des anonymes sur les articles parlant du fameux mademoiselle, ce sont les commentaires "j'ai honte d'être une femme quand je vois ce genre de féministes" que j'ai lu un peu trop de fois.
    Dans quelle société vit-on pour que des femmes renient jusqu'à leur genre pour se conformer à l'image de baisable vs les méchantes féministes poilues pour des choses qu'elles considèrent pourtant comme "futile"??? Et ça ne choquait personne.
    Je n'ai du lire l'équivalent qu'une ou deux fois pour des crimes vraiment horribles et les personnes disaient "j'ai honte de l'humanité" et non pas "j'ai honte de mon genre".
    Pour le "mademoiselle" et le lien avec la "perte de Tradition de la Grande Langue Française", je deviens de mauvaise foi et demande si les personnes utilisent encore le mot "nègre" ou "tiers-état" au nom de la grande tradition. Oui la langue évolue avec la société et influe sur celle-ci et si ça nous parait bizarre de dire Droits de l'humain plutôt que Droits de l'Homme ce n'est pas la preuve que c'est débile ou illégitime. Il y a à peine 100 ans avant la grande guerre, les français parlaient des dizaines de langues différentes, avec un vocabulaire différent pour les choses courantes tous les 50 km de distance de village avant que les soldats n'apprennent à partager une même langue française pour communiquer dans les tranchées. Et même ceux qui parlait déjà le "bon français" utilisaient dans la majorité des mots, des expressions, des verbes différents de ceux utilisés couramment aujourd'hui, à tel point que cela paraît être des mots "ridicules" à notre époque qui pourtant vit dans l'illusion du Grand Français Immuable à travers les Siècles.

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    1. Très juste, lyly !
      Mais après, on te dira que la condition des femmes n'a rien à voir avec l'esclavage...

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  3. tout à fait d'accord !!!
    c'est ce que j'essaie de faire comprendre à mon cher et tendre...le sexisme est partout, quand j'essaie d'en discuter avec lui (notamment au sujet des pubs), il a tendance à lever les yeux au ciel (et là, j'ai envie de la frapper, sans déc'), il m'a même dit il y a peu "j'ai l'impression que certaines féministes veulent se débarrasser des hommes"...
    et là, je dis, merci les média...
    quant à ce que j'ai pu entendre sur "mademoiselle" (à la radio, surtout), ça m'a, comment dire...un poil énervée...
    mais il est vrai que femme = futile, épissétou (ça permet de fermer le débat)

    heureusement qu'il y a des blogs, avec des filles qui utilisent les mots justes, que je peux faire lire à ma chère "moitié" ;o)
    (désolée pour ce commentaire décousu, je m'emballe...)

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    1. Mon mari réagissait comme ça au début, mais à force de lui expliquer, il a fini par comprendre. Courage !
      Le problème, c'est que quand tu dis que le sexisme est partout, ça veut dire qu'il a aussi une tendance au sexisme. C'est pas facile de faire passer le message sans le braquer. C'est pas facile de ne pas lui donner l'impression que c'est une critique personnelle.

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  4. Et si on veut utiliser quand même "mademoiselle", on est un salô de machô sexiste ?

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    1. Je ne me permettrais pas de porter un jugement à l'emporte-pièce d'une personne à partir de la simple utilisation d'un mot. Tout dépend de l'intention de la personne et de la perception qu'il a de ce mot. S'il ne voit pas le mal, s'il n'y a pas réfléchi et croit sincèrement que c'est ce qu'on attend de lui (et franchement, c'est en général le cas), on ne peut que saluer son amabilité. Et s'il est assez ouvert d'esprit, on peut discuter. Avec des arguments, et tout, sans épithètes désagréables.

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  5. Gilles à moins que tu soit un formulaire administratif ambulant, tu peu encor dire mademoiselle ou connasse en toute libetré. Cette campagne concerne les formulaires administratifs uniquement et vu ton incapacité et ta mauvaise foie concernant ce point il semble bien que tu soit un salo de macho sexiste.

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  6. @Anonyme : merde, bon je retourne taper ma femme qui ne cuisine pas assez vite...

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    1. Je vous serais reconnaissante d'être courtois, l'un comme l'autre, sinon je modère. Argumentez, contre-argumentez...

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  7. Perso, je vois dans tout ça quelque chose de bien plus sournois: les médias ne reprennent de nos revendications que celles qui semblent sans importance pour deux raisons.

    - ridiculiser les féministes
    - éviter de parler de ce qui, par la gravité des conséquences, amènerait trop de personnes à remettre en cause le système

    Dire, par exemple, que l'injonction à la minceur est un moyen parmi bien d'autres de contrôle des femmes, que c'est une forme de maltraitance que les femmes finissent par s'infliger elles-mêmes et que certaines finissent par en MOURIR ... ça, peu de médias le relèvent malgré les nombreuses études et analyses dont la bibliographie féministe est pourvue.

    S'attaquer au "Mademoiselle" dont ne veulent plus les féministes c'est caricaturer une fois de plus le féminisme et s'assurer que les vaches du machisme seront encore longtemps bien gardées.

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    1. Mais c'est exactement ce que je dis, Héloïse !
      La question ici est de savoir pourquoi les gens font tant d'efforts pour ridiculiser les féministes, avec une telle ardeurs, si spontanément. C'est à mon avis pour ne pas remettre en cause le système.
      Pourquoi refuser de mettre en cause le système ? Quelques magnats le font sans doute par intérêt économique. Mais les autres ? Je ne crois pas que les gens soient si décérébrés par les grands patrons, ni que la majorité des gens soient suffisamment égoïste pour défendre sciemment un monde dans lequel leurs propres filles peuvent être violées en quasi impunité. Non, que le système perdure parce qu'il contient un mécanisme de protection : la construction des individus ne tolère pas sans angoisse la remise en question.
      Journaliste, blogueurs, et même Robert-le-gros-lourd-de-la-machine-à-café, fonctionnent tous avec le même mécanisme : les féministes touchent à mon identité, donc je n'écoute pas, je me moque, je ne parle pas de ce qu'elles font de bien.

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    2. Ah ! j'ai dû mal comprendre, alors :/ !!!

      Par contre, je ne suis pas d'accord avec toi sur l'aveuglement des personnes qui défendent "sciemment un monde dans lequel leurs propres filles peuvent être violées en toute impunité". Ce n'est pas de l'aveuglement, c'est juste qu'il y a des valeurs supérieures à la vie et à l'intégrité des femmes (au hasard: l'honneur viril, la supériorité masculine, la réputation ...). L'histoire de cette jeune marocaine qui a dû épouser son violeur et a préféré en finir avec la vie est parlante à cet égard: sa propre mère a préféré la marier à son bourreau plutôt que de subir la honte.
      Et pas la peine de traverser la Méditerrannée pour constater ce genre de comportement dans des proportions moins graves, certes, mais tout aussi condamnables. Un homme de mon entourage a renvoyé sa propre fille à son statut de bonniche en prenant la défense de son beau-fils qui râlait de ne pas avoir été servi: "C'est bien à ça qu'elles servent, non ?" (devant une tablée entière qui pouffe). Cet homme aime sa fille mais la perpétuation de ses prérogatives lui importe plus que le respect de sa propre enfant. Aujourd'hui encore, les femmes ne valent rien au regard de l'enjeu que représente le maintien de l'ordre viriarcal.
      Tant que leurs couilles leur monteront à la tête, aucun changement ne sera possible. Rien à voir avec l'aveuglement ... bien au contraire. Très peu d'hommes se mobilisent contre le viol qui pourtant les a forcément touchés de près à part ceux qui ont renoncé à l'image de mâle dominant au profit d'une vision égalitaire et humaniste.
      Et c'est là que je te rejoins, cela nécessite une remise en question forcément angoissante ... mais certainement moins que de savoir son enfant, sa soeur ou son amie brisées par un sale type.

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    3. Tu penses franchement que la majorité des hommes n'est pas aveugle à la situation des femmes en France, qu'ils défendent sciemment leur droit à violer, à dominer ? Ou je te comprends mal ?

      Je crois plutôt à un phénomène qui n'a rien de conscient. L'orgueil, le confort de la situation de domination et le refus de remettre en cause les préjugés concourent à bâtir un mur de mauvaise foi. Je comparerais ça aux personnes victimes d'une addiction qui te diront qu'ils sont libres de s'y livrer, qu'ils ne gênent personnes, qu'il faut bien mourir de quelque chose... En y croyant franchement !
      Le pire, c'est que dans ce schéma, des hommes comme le père dont tu parles croient bien faire : il était de son devoir de patriarche de remettre en place sa fille, de corriger son comportement qui l'empêcherait, pauvre petite, d'avoir une vie de fâme épanouie.

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    4. Oui, je pense que la majorité des hommes n'est pas aveugle à la situation des femmes, notamment à l'ère de l'information ! Penser le contraire revient à faire du "bourdieusisme": les hommes ne sont pas conscients du mal qu'ils font et les femmes du mal qu'elles subissent ... tous et toutes manipulé.e.s comme des pantins par le Système.

      Seulement un système ne se maintient que grâce à l'action de ses agents. Et l'on voit bien en tant que féministes que les résistances à nos revendications ne sont pas le fait de personnes entièrement dirigées par un inconscient aliéné.

      Léo Thiers-Vidal l'explique très bien dans "De l'ennemi principal aux principaux ennemis" dont voici le résumé:

      "Le grand projet de Léo Vidal est de contribuer à découvrir un territoire qui n'a que commencé à être déchifré dans les études féministes : l'étude des hommes non en tant qu'êtres humains, mais en tant qu'individus genrés. En prenant pour base les théories du féminisme matérialiste radical, il pose deux hypothèses : les hommes sont conscients d'être dans une position dominante et ils utilisent consciemment des moyens acquis par des apprentissages précis afin de dominer les femmes avec qui ils entrent en relation."

      Ce père dont je parlais ne défend pas le droit de sa fille à avoir une vie de femme épanouie (qui croit d'ailleurs qu'une position aussi dévalorisée que bonniche épanouit qui que ce soit ?) mais bien sa position à lui d'oppresseur par l'intermédiaire de son beau-fils.

      C'est à mes yeux la découverte la plus cruelle quand on est féministe: ces hommes qu'on aime sont aussi ceux qui sciemment maintiennent un ordre qui les privilégie.

      Mais personne n'a jamais dit qu'être féministe était facile.

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    5. C'est une théorie intéressante, mais est-ce qu'on a des preuves, des études qui font pencher la balance du côté Thiers-Vidal que du côté Bourdieu ?
      Sans cela, il ne reste que la croyance. Sans preuve, je pencherai toujours pour l'inconscience. Et je ne dis pas ça pour protéger l'image que j'ai des rares hommes que j'aime : les croire victimes de préjugés inconscients, aveuglés, n'est guère reluisant pour eux.
      Quant au fait que le féminisme soit difficile, c'est pas moi qui vais te dire le contraire...

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    6. Ben, la preuve tu en as parlé dans ce billet: l'opposition farouche à la suppression du Mademoiselle, comme celle à loi Veil ou au droit de vote, sont bien des actions conscientes d'hommes qui connaissent l'enjeu et les conséquences de tels changements.

      " L’antiféminisme est la réponse politique des hommes à la parole politique des femmes enfin advenue sur la
      place publique." dit Nicole Brossard. Or, la parole est bien un acte pensé et non une réaction réflexe.

      Pour une critique éclairée de Bourdieu, il y a Marie-Victoire Louis: http://www.marievictoirelouis.net/document.php?id=600&themeid=
      Pour Léo Thiers-Vidal, il n'y a rien car il nous était contemporain et ses thèses n'ont pas été encore reprises, analysées ou "validées" par d'autres féministes.

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    7. Il faut donc que je précise : les actions sont conscientes, mais ces actions découlent de stéréotypes inconscients.
      Je n'utilise peut-être pas le terme inconscient comme un psy le voudrait : ici je veux dire que la personne ne se dit pas directement "les hommes sont supérieurs aux femmes, ils doivent les dominer", mais peut le penser sans s'en rendre compte et agir en conséquence. On peut défendre consciemment les cases, les croyant franchement bénéfiques pour tout le monde, sans être conscient que l'existence des cases est discriminatoire et ne s'appuie sur aucun fait scientifique.

      Est-ce que je suis plus claire ?
      J'avoue, à me grande honte, que je n'ai pas lu Bourdieu, le livre m'est tombé des mains au bout de deux paragraphes. Je suis donc bien loin de le critiquer ou le défendre. ;-)

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  8. D'accord avec Héloïse : fragmenter les revendications, fabriquer des noms ridicules comme "suffragettes" quand les femmes suffragistes revendiquent le droit de vote, etc...tout est bon pour noyer le poisson ou le chien en l'accusant de la rage (c'est Benoîte Groult qui fait remarquer que le vrai nom des "suffragettes" est "suffragiste" mais même nous les femmes nous laissons berner par ces manoeuvres dilatoires pour ne rien changer à la posture de supériorité des bonshommes).

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    1. Tu verras dans ma réponse à Héloïse que je suis d'accord aussi.
      Je viens de tomber sur un docu sur l'obtention du droit de vote par les femmes, avec reconstitution. On y parle d'une liberté accordée aux femmes, au lieu d'un droit conquis par elles-mêmes... Le docu parle plus longuement des débats à l'Assemblée que des manifestations de rue, et insiste avec complaisance sur la désorientation de certaines femmes au moment de voter...

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  9. Ouais c'est tout à fait injuste en effet. Les femmes ont conquis ce droit dE HAUTE LUTTE !
    Il y a même eu une morte : Emily Davidson qui a été renversée par le cheval de George V qu'elle tentait d'arrêter sur la piste du derby, entre autres actions (grèves de la faim, etc) pour se faire remarquer du gouvernement britannique qui ne voulait pas entendre parler de ce droit de vote!

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  10. J'espère bien qu'aucune de mes collègues ne va s'imaginer que je réprouve un seul de leur combat. On en discute, c'est tout.
    Toutes les interpellations de la société sont bonnes à faire et il n'y a pas lieu de concurrence des luttes vers l'application des lois, et l'accès sans défaut à la sûreté et l'égalité pour les femmes.
    Personnellement, je critique le choix de décaser Mademoiselle et de demander le changement d'une règle grammaticale d'accord (arguments dans mon blog http://susaufeminicides.blogspot.fr/2012/01/feminicide-nest-pas-neutre-en-querelle.html
    http://susaufeminicides.blogspot.fr/2012/01/billes-pour-academie-de-la-francophonie.html
    http://susaufeminicides.blogspot.fr/2012/01/les-larmes-de-sang-des-feminicides.html).
    Je pense donc qu'il y a bien urgence et priorité du droit à la sûreté et à la santé -contre les féminicides et pour les droits reproductifs à la contraception et à l'IVG pour toutes partout !-
    Solidarité Egalité Liberté

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  11. @ Héloise
    J'ai grandi en banlieue parisienne dans un grand melting-pot. nous étions très heureux, très insouciant et les boulots de nos parents suffisaient largement à nos "besoins" dans des petits pavillons. Le hasard a fait que mes deux meilleures amies étaient noires et une arabe. c'étaient les trois d'excellentes élèves j'étais priée de suivre leurs exemples au lieu de ma propension à faire des bêtises. Tout était très naturel, j'avais vaguement entendu parler de raciste par exemple le voisin mais pour mes yeux d'enfant c'était synonyme de "con", il me détestait en tant que fille de fonctionnaires.
    J'ai un souvenir très vif de mon enfance. Nous étions en cm1, en éducation civique et afin de rendre le cours plus ludique nous devions colorier des visages pré-dessinés sur la carte de la France comme couverture de notre cahier. Et là mon amie noire me fait remarquer que je ne colorie que des visages blancs ainsi que la majorité des autres enfants. J'en étais stupéfaite, d'un même mouvement nous avons attrapé nos feutres jaunes, marrons afin de colorier la France dans laquelle nous vivions pourtant et pourtant nous avions été incapables de la représenter.
    Plus tard en 5ème, alors que je conversai avec cette même amie et un ami arabe pendant la récré, j'ai été vraiment bouleversée de les entendre dire que "de toute façon tous les français étaient des racistes". Le disant à mes parents le soir même, ils étaient furieux et m'ont dit tout ce que je n'avais pas été capable de voir avec mes yeux d'enfant, pourquoi alors qu'ils emmenaient tout le monde à l'école et au catéchisme les parents de mes amies ne les avaient jamais salué, pourquoi je devais aller en cachette dans leur maison, parce que j'étais "blanche" et que les plus gros racistes du quartier étaient les deux familles de mes amies noires.
    Au lycée, au salon de l'étudiant, une femme a jeté devant moi à la poubelle le dossier de pré-inscription à une école qu'elle me remplissait avec de grands sourires vendeurs deux secondes auparavant dès que j'ai prononcé "93" pour mon adresse alors que j'ai un nom européen et que je suis blonde aux yeux bleus.
    J'étais été moi même victime et été témoin de racisme anti-blanc lors de mes boulots plus souvent que le contraire.
    Du coup, ça me met un peu rogne les discours flagelatoires des bien-pensants qui me demandent de toujours culpabiliser sur le racisme(alors que eux leurs enfants sont dans des écoles privées dans les beaux quartiers) alors que j'ai moi-même été victime de racisme ou de anti-banlieusard et que je ne suis pas raciste. Mon agacement n'est peut-être pas légitime mais je le ressens.
    Pourtant en cm1, naturellement je n'ai pas pu concevoir une France diversifiée.
    Je garde ces exemples en tête pour comprendre les agacements des personnes qui ne pensent pas être machistes, ne font rien de machistes à priori mais qui quand ils voient une femme en bleu marine dans un aéroport pensent spontanément à une hôtesse de l'air alors que pour un homme ils pensent à un pilote.
    Je dois travailler sur moi pour colorier des visages, pour ne pas spontanément faire des remarques clichés sur les hommes et les femmes. C'est totalement immatériel, et des fois ça fait du bien de dire "foutez moi la paix je ne peux pas y penser tout le temps, faire attention tout le temps" alors que je le devrais.
    Tout ça pour dire que je pense que beaucoup de gens sont comme moi, ils ne font pas de mal consciemment et c'est difficile d'accepter constamment un discours culpabilisant, ce n'est psychologiquement vraiment pas facile. D'où le rejet pour des choses anodines tel que la suppression du Mademoiselle, cela obligerait à remettre toute une conception de la société dans laquelle on est baigné depuis notre enfance, hommes ET femmes. Je comprends le ressort psychologique dont je suis moi-même victime même si je n'approuve pas.

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    1. Je comprends ce que tu dis, il n'est pas facile de mettre en perspective l'éducation qu'on a reçue (pour moi aussi, l'image mentale d'un pilote est un homme) mais entre ça et appuyer volontairement sur ce qui fait mal (dire par exemple qu'une femme pilote, ça craint pour les passager.e.s) il y a une nuance qui est celle de la conscience de classe. Le viriarcat ne se maintiendrait pas sans l'action mesurée de ceux à qui il profite directement. Et la résistance à la suppression du Mademoiselle en est quand même l'illustration la plus efficace, il me semble. Beaucoup ont pris leur plume ou leur clavier pour s'opposer (avec pas mal de mauvaise foi pour faire passer leur désaccord pour de l'amour de la langue ou tout autre prétexte) à une mesure d'égalité.

      "Je comprends le ressort psychologique dont je suis moi-même victime même si je n'approuve pas."

      Le problème c'est que certains l'approuvent: se sachant dominants, ils n'ont pas l'intention de perder ce statut ne serait-ce qu'à travers des manifestations soi-disant insignifiantes.

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  12. bon, je tarde à répondre
    parce que je me suis demandé dans ma propre vie si j'employais souvent ou pas le terme de mademoiselle
    et ça m'a très vite ramené à la question de l'emploi de la politesse chez moi
    je suis très méfiant à l'égard d'autrui
    donc ma première action c'est de garder mes distances : ça se traduit par le vouvoiement principalement avec quasiment tout le monde
    ensuite vient la question du madame ou mademoiselle et en fait je n'emploie jamais mademoiselle ou seulement dans des cas très spéciaux qui ramène tous à l'observation m'ayant fait constater que j'ai affaire à une personne manifestant son attachement à des formes de politesses "classiques" ou d'un autre temps, genre bourgeoisie catholique stricte.
    donc en fait c'est du fayotage à l'égard de ce que je repère de la culture de l'autre.
    je me méfie
    je sais pas à qui j'ai affaire
    donc j'observe et pour ça je garde mes distances
    madame dans ma psychologie de bête traquée donc dominée, ça ramène à l'adulte dominant, à la madame dangereuse parce qu'à la moindre colère elle va appeler son "mari" pour me fouttre une trempe.
    c'est la projection du modèle parental que j'ai vécu, sa généralisation à toute la société
    et ça m'est resté
    donc quand je dis madame, c'est par soumission à un ordre social dans lequel l'enfant que je suis toujours est dominé
    mais c'est aussi une façon de dire à l'autre que je suis très éloigné d'elle en terme culturel et sociaux : je me place en tant qu'individu qui ne convoitera pas la femme d'autrui. y'a une réminiscence de l'éducation catholique qui m'a dominé et interdit aussi la sortie de l'oedipe dans mon enfance.
    c'est aussi pour moi une façon de dire à la femme que je lui octroie une place supérieure à moi dans une hiérarchie de la crainte, de sorte qu'elle ne me prenne pas pour un potentiel agresseur
    et j'ai autant peur d'elle que du mâle auquel je la suppose associée.
    etc...
    comme quoi
    les malades mentaux peuvent fonctionner avec des valeurs totalement inverses ou étrangères au système ambiant... qui les a rendus malades

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  13. @ Héloise, oui les réactions ont été consternantes surtout par les journalistes et dans les commentaires. Mais dans mon entourage, la très grande majorité des réactions des gens a été un étonnement un peu méprisant parce que réellement ils ne voyaient pas les implications que cela avait. Peut-être qu'ils se permettaient un discours plus agressif plus "anonymement".
    J'ai arrêté les grands débats notamment vis à vis des femmes qui dans leur majorité voulaient se faire appeler mademoiselle parce que ça fait jeune. Leur faire comprendre à la pause café à quel point leur besoin de paraître jeune est une incroyable pression qui a une implication presque totalitaire sur leurs vies, c'est aller trop loin souvent, elles refusent d'entendre ce qui remettraient en cause toute leur vie, à se poser leurs mauvaises questions.

    Du coup j'y vais sur le ton de l'humour ou de l'étonnement sur des choses très pratiques genre "donc en réunion si on t'appelle madame, tu vas glousser et dire "ah non moi c'est mademoiselle" genre je suis baisable messieurs, ça aide pas à se faire prendre au sérieux non?, enfin je dis ça parce que déjà on a du mal à se faire entendre des vieux routards alors bon..."
    Ou avec mon beau-père homme de loi qui n'a pas l'habitude de faire des "blagounettes", lui aussi à trouver la demande stupide du coup il pensait que même si je me disais féministe je ne pouvais pas résister à l'idée de faire jeune, donc en rigolant il me dit "ah non il faut que je te dise madame maintenant" en s'attendant à ce que je démente et fustige ces "féministes", ce fut un moment très agréable pour moi de voir son sincère étonnement quand je me suis contentée d’acquiescer tranquillement. Cela lui a coupé le sifflet :-).

    Et maintenant j'en profite pour dire que c'est un bon moyen simpliste pour faire évoluer les systèmes d'information, les logiciels. En ce moment les gens m'entendent gueuler (et je suis sincèrement vraiment furieuse) parce que je viens de me prendre ma première claque administrative, j'ai souscrit un prêt avec mon conjoint, et seul son nom apparaît sur la référence du dossier. La banque est incapable de faire le lien entre mon propre prêt et mon nom, alors que la référence fait mention du nom et du prénom de mon conjoint, ce qui prouve qu'ils peuvent accoler deux champs sans problème. Et étant mon métier, je suis bien placée pour savoir qu'il suffit de cocher ou de décocher quelques cases dans les paramétrages de tous les logiciels, pour que le "madame" ne soit pas bloquant pour une célibataire ou pour changer une requête de référence de dossier, de nom postal ou d'impression de chèque (l'éclatement des montants et l'impression automatique de plusieurs chèques ne posent aucun problème pour un même dossier pour TOUS les produits financiers SAUF la CAF et les impôts qui ne connaissent que l'homme qui touche toutes les prestations du foyer fiscal en son seul nom). Et je n'EXISTE pas aux yeux de ma banque en 2012 et on n'est pas en Afghanistan (c'est vraiment le pays favori des journalistes j'ai remarqué).

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  14. Cela fait longtemps que je lis ce blog est que je suis d'accord avec ce qui y est dit. Mais je me demande si nous ne pourrions pas demander la réciproque aux hommes en leurs demandant d'ajouter une case Damoiseau dans les formulaires. Je serais curieuse de voir la réaction de ces messieurs.

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    1. J'ai essayé un peu, tout ce que j'ai récolté c'est des rires. Ils trouvent ça bizarre. Mais je ne prétendrai pas avoir essayé sur un échantillon représentatif de la population française... ;-)

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  15. Je suis tout à fait d'accord avec la suppression administrative du mot mademoiselle, mais la question linguistique est plus délicate. J'étudie la langue française et je sais qu'elle est proprement sexiste, car une langue se définit selon les structures mentales des populations qui la parlent, et l'occident a toujours été vachement misogyne jusqu'il y a peu. Mais ce sont des reliquats, c'est comme lorsqu'on est athée et qu'on crie "oh nom de dieu", "oh mon dieu", "dieu soit loué" etc. Ce sont des formes figées de la langue, qu'il serait difficile de supprimer dans nos représentations mentales. Je ne suis pas contre une évolution linguistique, je suis féministe, je suis la première à utiliser la féminisation des noms, et à m'indigner que de nombreux noms féminisés ont des connotations sexuelles (on en a fait un jeu d'ailleurs avec un pote ex: un chien, c'est un animal, une chienne, s'tune pute. Essayez, vous verrez, vous aurez malheureusement beaucoup trop de phrases "s'tune pute")Mais s'indigner de l'emploi du mot mademoiselle dans la vie de tout les jours revient à commencer un combat sans fin: supprimer les connotations sexuelles de toutes les insultes, arrêter de gueuler "putain" à chaque phrase (mot qui a été totalement désémantisé d'ailleurs) supprimer la réglé du masculin l'emporte, vouloir sororité à la place de fraternité, vouloir "droits de l'humain" et non "droit de l'homme" et j'en passe. On ne change pas une langue de manière très profonde, c'est im-po-ssible, la langue se change elle-même selon les changements sociaux au travers les générations (on n'appelle plus sa femme "pute vieille hore" et son marie "mon maistre" comme au moyen-age à ce que je sache). Sinon parlez Finlandais, ils n'ont pas de genre, ça simplifie beaucoup les choses...

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    1. J'aime bien le mot "professionnelle". Un sacré gag, celui-là... Nous ne pouvons donc être professionnelles que su sexe ?
      Je pense qu'on peut contribuer à faire évoluer les mentalités en proposant des nouvelles expressions : les noms de métiers en premier lieu, penser à dire "droits de l'humain", c'est des choses qui me parlent. Ca choque l'oreille, ça interpelle, ça pousse à réfléchir. Mais je suis bien d'accord pour dire qu'imposer un changement radial de la grammaire ne marchera pas. C'est les mentalités qu'il faut faire évoluer, en les bousculant, en éduquant. L'évolution de la langue n'est qu'un des multiples outils à notre disposition. Mais seul, il est inefficace.

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