vendredi 2 septembre 2011

Ces petites femmes


La colère gronde sur le net : la mode tente de faire de nos petites filles des objets sexuels. Sans aucune ironie ni arrière-pensée, je dois dire que ça me bouleverse et ça m'écoeure. Je ne comprends même pas que ce soit possible.
La colère passée, je me suis demandée pourquoi la nausée  subsistait après avoir constaté l'indignation quasi générale soulevée par ces images. J'aurais dû être contente, être un peu calmée. Avoir retwitté les articles qui dévoilent le scandale pour contribuer à faire prendre conscience à tout le monde aurait dû me soulager. Mais non. Alors il faut que je vous raconte ce qui me passe par la tête.

Présenter les enfants comme des objets sexuels, c'est une horreur. Ca donne du grain à moudre aux pédophiles, ce qui est un argument suffisant pour coller des baffes aux (ir)responsables de ce désastre. Mais la question qui va inévitablement venir est : à partir de quel âge la représentation d'un être humain de sexe féminin passe de monstrueuse à normale, voire esthétique, artistique ? Par quelle magie la sexualisation des corps exhibés passe-t-elle, selon l'âge de la personne, d'ignoble à anodine ?

Cette dérive monstrueuse dont sont victimes les petites filles est contemporaine d'un phénomène qu'on commence seulement à identifier : la "pornification" des femmes dans les magazines. Les femmes sont passivement représentées dans des poses suggestives jusqu'au ridicule. Est-ce un hasard du calendrier ou y at-til un lien ? Je penche pour la seconde réponse.
A partir du moment où présenter une femme comme un objet sexuel est normal, commun, où ces images forment la majorité des représentations de notre sexe dans les médias, comment représenter une enfant ? Les images où les petites filles sont "comme les grandes" sont légions : catalogues de fringues, catalogues de jouets... Les petites filles veulent faire comme leurs mamans, c'est pas nouveau. Elles veulent apprendre à imiter ses gestes, elles veulent recevoir la considération, l'estime et la confiance qu'on accorde à l'adulte. Certains parents trouvent adorables les enfants grimés en adultes, comme une caricature d'eux-mêmes. Si l'on n'est plus choqué par les représentations des adultes, il ne faut pas s'étonner que cela rejaillisse sur les représentations des enfants.
On dit que ces images encouragent les pédophiles. Elles présentent les enfants comme des objets sexuels, des objets que l'on peut manipuler à son aise. C'est aussi exactement ce que les médias proposent comme image des femmes adultes depuis des décennies. Vouer aux gémonies ceux qui proposent ces images est nécessaire, mais pas suffisant : d'autres les remplaceront si on ne lutte pas pour résoudre le problème qui est à la source du phénomène. Et ce problème, c'est le sexisme.

C'est même une violence sexiste uniquement dirigée contre le sexe féminin : on ne voit pas, que je sache, de petits garçons présentés commes de conquérants ou des séducteurs, chemise ouverte sur un torse glabre. Et ça me met dans une colère noire de ne voir personne faire le lien. On forme déjà les petites filles à devenir de bonnes petites mamans, si possible allaitantes, gentilles, sages, décoratives, alors pourquoi, si le sexe est désacralisé au point de perdre tout caractère spécifique, ne pas leur apprendre à devenir des objets sexuels ?

Evidemment, les petites filles sont innocentes. Elles font ce que leurs parents disent de faire, confiantes. On leur dit de poser, elles posent. On leur dit qu'avec ces fringues elles seront toutes mimis, elles les portent. Elles ne sont pas conscientes de l'impact que les images peuvent avoir, sur elles-mêmes comme sur les autres.
Les adultes qui posent sont libres de le faire. Libres de tortiller du cul, libres de poser à poil, libres de faire du strip-tease. Je ne leur nie pas cette liberté. Mais combien le font en connaissance de cause, en connaissant la douleur qui peut être associée aux représentations qu'elles promeuvent ? Ont-elles réfléchi à l'image des femmes, à la féminité, aux arguments fallacieux qui sont utilisés par les agresseurs ?
Je ne dis évidemment pas qu'il faut bannir toute représentation d'une femme adulte qui pourrait, de près ou de loin, ressembler à une objetisation. Je dis juste qu'il faut le faire en connaissance de cause. Sinon, c'est la société entière qui paye pour les erreurs de quelques-uns. Et les enfants le payent bien plus cher que les adultes.

Illustrations :
Pietro Rotari, Sewing Girl
Joaquín Sorolla y Bastida, Menina
William-Adolphe Bouguereau, Tête d'Etude l'Oiseau

6 commentaires:

  1. "Evidemment, les petites filles sont innocentes. Elles font ce que leurs parents disent de faire, confiantes. On leur dit de poser, elles posent. On leur dit qu'avec ces fringues elles seront toutes mimis, elles les portent. Elles ne sont pas conscientes de l'impact que les images peuvent avoir, sur elles-mêmes comme sur les autres."
    bravo
    c'est essentielle
    il y a là le sexisme imposant la partitions des rôles non pas en fonction de la sensibilité de l'individu et de ses capacités mais celle de son groupe de référence
    il y a là l'esprit de domination qui impose à la viriginité, la simplicité d'esprit, l'état dans lequel on n'est pas encore formaté à être projectif des normes culturelles idéalistes de son groupe de référence
    au profit du plus fort, le parent, puis l'homme
    le phallus
    il existe, de façon moins spectaculairement et fréquente, le symétrique dans l'utilisation des garçons : je me souviens de cette pub de la société générale montrant une équipe de petits durs crottés entièrement, joueur de rugby. certes ce n'est pas directement sexuel comme on l'impose exclusivement aux femmes.
    mais c'est aussi imposer un modèle sexiste aux garçon, de n'être rien d'autre que des être de forces bruttes, de domination, de conquête aimant se salir
    et aimant salir l'innocence
    c'est à ça que me font penser ces pubs de petites filles sexualisées : le plaisir de la domination qui va jusque à faire accepter d'être salie ou salissable.
    ça ne donne, en plus qu'une idée ignoble de la sexualité, non pas fondée sur l'empathie des sensibilités, la force du lien sensuel réciproque, mais uniquement sur la joie de la domination permettant de manipuler juqu'à la pensée, la psyché dans son ensemble, de l'autre, la femme devant être l'objet de domination par excellence : on apprend aux garçons à faire la guerre pour s'approprier les femmes des autres... etc...
    ça donne un modèle féminin immonde
    mais ça donne aussi un modèle masculin immonde

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  2. Je suis absolument d'accord avec toi :

    Les petites filles sont censées jouer comme de "mini femme" : repassage, ménage, dinette... alors pourquoi pas être un objet sexuel comme môman ?

    A ce propos, je viens de tomber sur cet article en rapport avec ton sujet http://www.madmoizelle.com/mode-enfant-sexualisation-55294

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  3. @ Paul : L'un ne va pas sans l'autre. Il n'y a pas de dominé sans dominant, ni d'esclave sans maître. Il est peut-être moins difficile de couler un enfant dans le moule du dominants que dans le moule du dominé : on voit moins ce qu'on fait subir aux petits garçons qu'aux petites filles.
    Et je dois bien dire que je suis moins clairvoyante et sensible de ce côté, puisque je ne suis pas passée à la moulinette du "tu seras un homme, mon fils". Je préfère parler de ce que je connais intimement. Je hais ces écrivaillons mâles qui inventent des personnages féminins à la psychologie tenant plus de fantasme que de la réalité ! Je refuse de faire la même chose.

    @ antisexisme : il y a eu tellement de bons articles que je ne savais plus lequel citer !
    J'aimerais bien savoir ce qu'en disent celles qui soutiennent que la sexualité ne doit pas revêtir de caractère spécifique par rapport à d'autres activités. Je dis ça sans ironie ! Je ne vois pas comment le refus de la sexualisation des enfants peut entrer dans ce schéma de pensée.

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  4. C'est "amusant", je suis retombée hier sur un album photo de coiffures d'enfants datant des années 90... et bien ce sont surtout aux petits garçons qu'on faisait prendre des poses "aguichantes" : caricature de virilité, moues, attitudes agressives... Ca m'a mise assez mal à l'aise. J'avais l'impression à la fois qu'on les "dressait" à devenir agressifs et qu'on me demandait d'éprouver du désir pour cette attitude désagréable et pour ces enfants.

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  5. Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter de plus!

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  6. @ Emelire : je n'aurais pas pu mieux le dire.

    @ Isabelle : certaines publicités pour des magasins de sport, aujourd'hui, ne valent guère mieux... L'image des femmes dans les médias avance un peu (un pas en avant, trois pas en arriè-reuh), mais celles des hommes ne bouge pas d'un iota.

    @ Aggie : merci d'avoir pris la peine de le dire, en tout cas ! :-)

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