vendredi 27 mai 2011

Refusons l'anti-féminisme mensonger

Avec les "petites phrases" assassines de Jack Lang et Jean-François Kahn, entre autres, on a cru avoir touché le fond. Maintenant on en trouve qui cherchent du pétrole.
Ce matin, le Monde nous a gratifié d'un point de vue d'une certaine Hélé Béji, écrivaine, intitulé "Refusons le féminisme victimaire".
Nous n'en sommes plus au temps où on cassait les féministes dès qu'elles ouvraient la bouche. Non, il y a les "bonnes féministes" (celles qui se battent pour les "vraies" causes, majoritairement les maltraitances à l'étranger, pas de ça chez nous, hein !), et les "mauvaises féministes" (celles qui n'acceptent même pas qu'on trousse tranquillement sa boniche). Les "mauvaises féministes" verraient toutes les femmes comme des victimes, et tous les hommes comme des agresseurs. Evidemment, quand on parle de ces "mauvaises féministes", on ne cite pas de noms, d'associations, de mouvements, ni d'ouvrages.


Hélé Béji dénonce le fait que DSK s'en prenne plein la tronche, alors qu'on n'est même pas sûrs qu'il soit bien coupables. Les féministes ne la contrediraient pas, puisqu'elles prennent soin, à chaque intervention, de préciser qu'on ne sait pas se qui s'est passé (par exemple, relisez l'appel contre le sexisme). Personnellement j'ai lu peu d'articles condamnant DSK : ce qui fait scandale, c'est le traitement médiatique de l'affaire, centré sur l'accusé et sous-entendant constamment que la victime n'est pas de bonne foi. Les femmes qui sont accusées, qui lui font "honte", restent anonyme. Autant les sorties de Lang, JFK et BHL ont été soigneusement citées par leurs détracteurs, autant Mme Béji ne cite personne. Cet article pourrait parler de sa concierge, il ne serait pas écrit différemment. En tout cas, je ne sais pas de qui elle parle.

"L'acharnement des médias, obsédés par le féminisme antisexiste, condamne les protagonistes du drame à une exhibition qui les place l'un comme l'autre sous une lumière obscène." Obsédés ? on ne doit pas consulter les mêmes médias. Et puis s'ils l'étaient, ce serait mal, le féminisme antisexisme (oh, le beau pléonasme !) ?
"L'inculpation de M. Strauss-Kahn lui promet plus de soixante-dix ans de cachot. Presque autant que pour un génocide !" Il semble que Mme Béji regrette qu'on punisse lourdement un viol. Serait-ce que le viol n'est pas si grave à ses yeux ? Allez, je lui prête des intentions qu'elle n'a peut-être pas, disons que la formulation est maladroite...
"Le diable, caché sous la beauté insolente des femmes, a changé de sexe, il n'est plus femelle, il est mâle, synonyme de satyre poilu, bouc difforme, bourreau des sexes." C'est vrai que le violeur est diabolisé, dans les médias. Mais seulement le violeur des parkings, le Grand Méchant Loup, si vous voulez. Le viol n'est médiatisé que s'il correspond à l'image fantasmée que les journaleux en ont, sinon c'est un "drame de la passion".
"Allons-nous, chaque fois qu'un homme cède au péché, nous transformer en Erinyes (déesses grecques de la vengeance) sans pitié ?" En disant qu'il a "cédé", on sous-entend que c'est pas de sa faute, que c'était une pulsion. De plus, parler de "péché" renvoie à la morale religieuse, celle qui est considérée comme entravant la liberté de jouir. L'auteure nous parlera plus loin du "Jugement Dernier", de "miséricorde", de "morale", de "siècles puritains". Mais il n'est pas question de liberté ni de puritanisme ici, il est question de viol, et le viol est un crime qui n'est pas dénoncé comme il devrait. Donc, oui, les féministes se transforment en Erinyes sans pitié lorsqu'un viol est avéré et que le coupable n'est pas condamné comme il le devrait. Si la petite dame veut se joindre à nous, elle est la bienvenue.
L'auteure nous parle de "race féminine", du "sexe fort", et du "propre de la femme". Serions-nous tombés sur une essentialiste ? "Il est naturel que l'émotion des femmes bénéficie d'abord à la victime." D'abord, on dit victime présumée, merci. Paille, poutre, toussa. Et puis je ne vois pas en quoi ça serait naturel pour une femme et pas pour un homme. Les humains se rangeraient-ils dans deux clans ? Va-t-on imprimer des T-shirts "Team agressor" et "Team victim" ? Serait-ce que l'auteure ne peut concevoir que les femmes puissent être solidaires des hommes (et vice-versa) ? Dans ce cas, c'est elle qui est victime des travers qu'elle dénonce, pas les hypothétiques féministes qu'elle est incapable de citer.

Les féministes veulent que les victimes de violences sexistes soient reconnues comme des victimes. Ceci est interprété comme une volonté de faire de toutes les femmes des victimes, et par conséquent de tous les hommes des coupables. L'accusation de misandrie n'est pas loin. 
Accuse-t-on quelqu'un qui lutte contre le racisme d'être anti-blanc ? Accuse-t-on quelqu'un qui lutte contre l'homophobie d'être anti-hétérosexuels ? Accuse-t-on quelqu'un qui lutte contre la discrimination dont souffrent les handicapés d'être anti-valide ?
Comment une femme misandre peut-elle vouloir l'égalité des sexes ? C'est viser bien bas...
Je ne dirai pas que je n'aime pas les hommes. Je ne dirai pas non plus que j'aime les hommes. J'aime les gens bien, hommes ou femmes. Pourquoi vouloir à toute force que les féministes mettent les gens dans des cases alors que c'est strictement ce que nous dénonçons ? Si lorsque je dis "je n'aime pas les machos", vous en déduisez que je n'aime pas les hommes, cela veux dire que vous considérez que tous les hommes sont des machos : vous êtes misandre, pas moi.

Le féminisme n'est pas ce "machisme à l'envers" où l'on présenterait tous les hommes comme des porcs et toutes les femmes comme des anges déchirés. Les détracteurs du féminisme pourraient avoir l'honnêteté intellectuelle de se renseigner sur le mouvement, avant de baver sur des concepts qu'ils n'ont pas compris.

15 commentaires:

  1. bravo, et merci d'avoir pris la peine de l'écrire. Et oui, toujours, l'antiféminisme s'attaque à ce nouvel objet "la féministe non identifiée" (cf "fausse route")

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  2. C'est à chaque fois la même chose : quand on arrache aux dominants une petite avancée, c'est comme si on leur piquait quelque chose : donner des droits aux animaux en retirerait aux humains (Luc Ferry), l'égalité aux femmes reviendrait à piquer des avantages aux hommes ; on sait maintenant que les droits que les noirs ont arraché aux blancs n'ont rien enlevé aux blancs. Le pire, c'est que ce concentré de stupidités est écrit par une femme !

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  3. @ Rita : C'est marrant, je suis en train de lire "L'amour en plus" d'E. Badinter. J'aime bien ce livre, c'est dommage qu'elle se soit compromise en écrivant "Fausse route". J'ai du mal à lui faire confiance, maintenant.

    @ Hypathie : Techniquement, Luc Ferry a raison. Si on donne aux animaux le droit (par exemple) à ne pas être abattus sauvagement, on retire aux humains le droit de s'amuser à les torturer avant de les bouffer. Mon mari et moi, blancs, avons perdu le droit de posséder un esclave noir, nous n'avons personne sur qui nous défouler. Mon mari a perdu le droit de me violer, il est obligé de tenir compte de mon consentement.
    Bon, ces droits sont difficilement défendables. Luc Ferry aurait pu faire une grande carrière d'humoriste. :-D
    Je crois que ce que je déteste le plus, dans le système patriarcal, c'est les femmes qui se gargarisent de leur féminité, assument avec fierté leur place de subalterne et font tout pour forcer les autres à reproduire le schéma. Celles qui théorisent leur misère et écrivent ce genre de daube...

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  4. martin dufresne28 mai 2011 à 18:25

    Merci pour cet excellent texte! (Mais le titre devrait se lire "anti-féminisMe mensonger".)

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  5. ben oui juste pour dire BRAVO ;o) et merci !

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  6. @ Martin Dufresne : faute corrigée ! Merci de l'avoir signalée, mettons ça sur le compte de la colère... ;-)

    @ Emelire : Merci de ne jamais perdre une occasion de m'encourager, surtout.

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  8. Sur E. Badinter, vous auriez dû cesser de lui faire confiance il y a bien longtemps... Comment peut-on siéger au conseil de surveillance (!!!) de publicis et se revendiquer d'un quelconque féminisme ?

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    1. Là, franchement, je ne comprends pas: il serait incompatible d'être féministe et milliardaire?

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    2. Je pense qu'André veut dire que Publicis fait de la pub, que la pub utilise les stéréotypes sexistes, et que Mme Badinter ne fait rien pour l'empêcher par pur intérêt économique.
      Mais intrinsèquement, je ne vois pas où serait le problème.

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  9. Ah ! je croyais avoir laissé un commentaire ! Mais j'ai du faire une fausse manoeuvre. Je recommence donc :

    D'abord, très bon article, merci pour cet analyse.

    Je suis absolument d'accord avec toi.

    J'aimerais ajouter deux choses :

    - l'auteure semble mettre sur le même plan la victime et le violeur dans ce passage :

    "Jadis, devant les charmes d'une femme, même le droit de cuissage était innocenté. C'était horrible. Et d'autant plus injuste que le blâme en retombait sur la femme, qui, accusée de provocation, expiait en pleurant sa faute au couvent. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Le diable, caché sous la beauté insolente des femmes, a changé de sexe, il n'est plus femelle, il est mâle, synonyme de satyre poilu, bouc difforme, bourreau des sexes.

    Le couvent des hommes, c'est la prison pour délinquants, aux portes de laquelle les femmes offensées font claquer leur fouet de dompteuses sur l'échine de la bête ligotée. C'est inhumain."

    En gros, elle semble dire "autrefois, c'était la victime qui s'en prenait plein la gueule. C'était horrible. Aujourd'hui, c'est le violeur, et c'est tout aussi horrible". Ben, oui, actuellement la situation est inversée (quoique...), mais... eug, c normal, non ???

    - l'auteur a une drôle d'image de la sexualité masculine :
    "Aux hommes maintenant, et non plus aux femmes, la culpabilité du désir, le crime d'Eros, les tourments de la chair, qui les condamnent à croupir sur la paille d'une geôle. "
    Donc, selon elle, on ne peut pas condamner le viol sans condamner le désir masculin ? La sexualité masculine se résume à l'agression ? Ben c'est elle, qui est misandre, ma foi

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  10. @ andré : elle pourrait être les deux, si elle le voulait vraiment. Mais il me parait clair qu'elle ne fait pas d'effort dans cette direction !

    @ antisexisme : Blogger perd des commentaires, quelquefois... Rassure-toi, tu n'as pas été censurée ! ;-)

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  11. Vous avez une vision assez juste du sujet et je trouve dommage que certains auteurs se livrent à laisser des écrits tout juste bon à servir les jours de grandes chiasses. Les propos de la damme sont à la limite de l'imbécilité
    Pour ce qui est du féminisme, j'y souscrit. Ce n'est pas parce que je gère une carrière de maman, pompier et travail de front que je souhaite cela à toutes les filles.
    ET la liberté de ne pas se faire agresser, verbalement, physiquement.
    On a l'impression qu'il y a deux sorte d'agresseur : le taré malade de ses pulsions, pauvre, chaumeur ou de banlieu et le riche, dont ce n'est pas la faute, celui qui succombe aux charmes d'une fille en juppe (genre : "elle l'a cherché, elle a une juppe si elle voulait pas, fallait mettre un pentalon)
    Si ne pas aimer les cons, c'est être raciste, alors j'assume

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  12. @ Catherine : Tiens, une femme pompier ! Pompier volontaire ?
    Dans tous les cas, c'est jamais la faute de l'agresseur : soit il est fou, soit il a été poussé à bout. C'est plus facile de voir les choses ainsi que de réfléchir vraiment aux causes de la violence...

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