Il n'y a pas de raison pour que les journalistes soient moins victimes de clichés sexistes que les autres. Deux cas récents montrent qu'ils peuvent sortir des articles dignes d'une discussion entre piliers de bar.
A Cleveland, Texas, une petite fille de 11 ans a été victime d'un viol en réunion perpétré par 18 hommes dont le plus âgé avait 27 ans. L'un d'entre eux a filmé la scène, la vidéo étant arrivée aux mains des autorités a permis d'arrêter les criminels. Le New York Times a publié un article sur le sujet, écrit par un certain James C. McKinley Jr. L'article relate les faits avec tout plein de détails sordides, avant de s'attarder complaisamment sur les réaction du voisinage. La "communauté" plaint-elle la petite ? Sans doute. Mais ce n'est pas ça qui est rapporté par McKinley : "These boys have to live with this the rest of their lives" ("Ces garçons vont devoir vivre avec ça pour le reste de leurs vies"), "They said she dressed older than her age, wearing makeup and fashions more appropriate to a woman in her 20s" ("Ils disaient qu'elle s'habillait comme une fille plus âgée, portait du maquillage et des accessoires à la mode plus appropriés à une femme de 20 ans"), "Where was her mother? What was her mother thinking?" ("Où était sa mère ? A quoi pensait-elle ?"), "How can you have an 11-year-old child missing down in the Quarters?" ("Comment peut-on laisser un enfant de 11 ans traîner dans le Quarters ? - le Quarters étant le quartier mal famé où ont eu lieu les viols).
La réaction du voisinage en dit long. Les agresseurs sont plaints, la victime accusée, sa mère rendue coupable. Le fait que le journaleux choisisse de rapporter leurs paroles en dit aussi long sur sa vision de l'affaire. On croirait que la gamine l'a cherché.
La bonne nouvelle dans tout ça, c'est les réactions indignées qui se font entendre. La porte-parole du Times a dû réagir en rappelant que les paroles rapportées étaient celles de la populace, pas du jounaliste. Reste que le choix de les rapporter relève du choix de McKinley. Pourquoi ces témoignages ont-ils été jugés assez pertinents pour intégrer l'article ?
En France, la presse ne fait pas mieux.
Sandrine Goldschmidt a publié une brillante analyse du traitement par la presse du drame de Rivesaltes et les Nouvelles News publient un article de Natacha Henry sur le même sujet.
Comment on appelle un type qui viole une gamine de 10 ans, la garde sous son emprise pendant 20 ans, notamment financièrement, et tue trois personnes de rage quand elle le quitte et réussit à porter plainte ? Au fil des articles, on le voit qualifié "d'amoureux déçu," atteint de "folie meurtrière", de "fureur amoureuse". Toujours présumé innocent jusqu'à sa condamnation, on ne peut pas le désigner comme assassin ou violeur. Mais de là à le présenter comme une victime... Pourquoi ne pas dire carrément qu'il était sous l'emprise d'une sale petite garce qui profitait de sa misère sexuelle pour lui extorquer des bonbons puis de l'argent ?
J'ai déjà parlé de ces réactions débiles où la victime devient coupable, ne serait-ce que coupable de ne pas avoir été assez prudente. Là, les journalistes vont encore plus loin en faisant de l'agresseur la victime, en lui cherchant des excuses. C'est la rupture, la douleur qui rend fou. C'est le désir irrépressible, la nature humaine qui nous fait défaut. Mais la violence sexiste, la domination patriarcale si banale mais tant niée, on n'en parle surtout pas : ce serait remettre en question trop d'idées reçues.
C'est comme si Perrault nous avait raconté que le Petit Chaperon Rouge s'était badigeonnée de moutarde avant d'aller se promener en forêt où rôde, on le sait, le loup affamé. Pauvre loup qui n'a pas pu résister à cette garce qui s'était déguisée en hot-dog, pauvre loup qui dormait tranquillement quand cette petite peste à l'esprit mal tourné est venue se glisser sous les draps !
A Cleveland, Texas, une petite fille de 11 ans a été victime d'un viol en réunion perpétré par 18 hommes dont le plus âgé avait 27 ans. L'un d'entre eux a filmé la scène, la vidéo étant arrivée aux mains des autorités a permis d'arrêter les criminels. Le New York Times a publié un article sur le sujet, écrit par un certain James C. McKinley Jr. L'article relate les faits avec tout plein de détails sordides, avant de s'attarder complaisamment sur les réaction du voisinage. La "communauté" plaint-elle la petite ? Sans doute. Mais ce n'est pas ça qui est rapporté par McKinley : "These boys have to live with this the rest of their lives" ("Ces garçons vont devoir vivre avec ça pour le reste de leurs vies"), "They said she dressed older than her age, wearing makeup and fashions more appropriate to a woman in her 20s" ("Ils disaient qu'elle s'habillait comme une fille plus âgée, portait du maquillage et des accessoires à la mode plus appropriés à une femme de 20 ans"), "Where was her mother? What was her mother thinking?" ("Où était sa mère ? A quoi pensait-elle ?"), "How can you have an 11-year-old child missing down in the Quarters?" ("Comment peut-on laisser un enfant de 11 ans traîner dans le Quarters ? - le Quarters étant le quartier mal famé où ont eu lieu les viols).
La réaction du voisinage en dit long. Les agresseurs sont plaints, la victime accusée, sa mère rendue coupable. Le fait que le journaleux choisisse de rapporter leurs paroles en dit aussi long sur sa vision de l'affaire. On croirait que la gamine l'a cherché.
La bonne nouvelle dans tout ça, c'est les réactions indignées qui se font entendre. La porte-parole du Times a dû réagir en rappelant que les paroles rapportées étaient celles de la populace, pas du jounaliste. Reste que le choix de les rapporter relève du choix de McKinley. Pourquoi ces témoignages ont-ils été jugés assez pertinents pour intégrer l'article ?
En France, la presse ne fait pas mieux.
Sandrine Goldschmidt a publié une brillante analyse du traitement par la presse du drame de Rivesaltes et les Nouvelles News publient un article de Natacha Henry sur le même sujet.
Comment on appelle un type qui viole une gamine de 10 ans, la garde sous son emprise pendant 20 ans, notamment financièrement, et tue trois personnes de rage quand elle le quitte et réussit à porter plainte ? Au fil des articles, on le voit qualifié "d'amoureux déçu," atteint de "folie meurtrière", de "fureur amoureuse". Toujours présumé innocent jusqu'à sa condamnation, on ne peut pas le désigner comme assassin ou violeur. Mais de là à le présenter comme une victime... Pourquoi ne pas dire carrément qu'il était sous l'emprise d'une sale petite garce qui profitait de sa misère sexuelle pour lui extorquer des bonbons puis de l'argent ?
J'ai déjà parlé de ces réactions débiles où la victime devient coupable, ne serait-ce que coupable de ne pas avoir été assez prudente. Là, les journalistes vont encore plus loin en faisant de l'agresseur la victime, en lui cherchant des excuses. C'est la rupture, la douleur qui rend fou. C'est le désir irrépressible, la nature humaine qui nous fait défaut. Mais la violence sexiste, la domination patriarcale si banale mais tant niée, on n'en parle surtout pas : ce serait remettre en question trop d'idées reçues.
C'est comme si Perrault nous avait raconté que le Petit Chaperon Rouge s'était badigeonnée de moutarde avant d'aller se promener en forêt où rôde, on le sait, le loup affamé. Pauvre loup qui n'a pas pu résister à cette garce qui s'était déguisée en hot-dog, pauvre loup qui dormait tranquillement quand cette petite peste à l'esprit mal tourné est venue se glisser sous les draps !
Illustrations : Monica Belluci en Petit Chaperon Rouge
Le petit Chaperon rouge au lit avec le loup, Gustave Doré, 1862.
Le petit Chaperon rouge au lit avec le loup, Gustave Doré, 1862.
On nous parle d'amour là où il n'y a qu'égo blessé, domination et violence. Depuis quand la pédophilie et la prostitution ont à voir avec l'amour ?
RépondreSupprimerSuper article, merci.