mardi 29 mars 2011

L'ennemi invisible

Personne n'a essayé de nous faire croire que le nuage de Fukushima a été arrêté à la frontière, heureusement. Il parait, en revanche, qu'il n'est pas dangereux. Confiante comme je suis dans nos autorités, j'ai du mal à résister à l'envie de m'enfermer chez moi, volets fermés, aération coupée, avec un compteur Geiger sur les genoux. Remarquez, ça me ferait consommer plein d'électricité nucléaire, ça.

Les radiations, c'est l'ennemi invisible. On sait à peine ce que c'est, on sait juste que c'est difficile à bloquer et que ça tue. C'est d'autant plus effrayant qu'on ne peut pas les voir comme on verrait le feu, elles n'ont pas d'odeur comme l'aurait le gaz, et qu'elles ne font pas de bruit, à part le sinistre crépitement d'un compteur Geiger que, de toute manière, nous ne possédons pas.

On lit plein de chiffres dans les journaux, exprimés dans plein d'unités différentes, mais peu d'explications sur la nature même des radiations. On nous parle d'uranium, de fluor, de césium, avec des nombres accolés, et ça renforce l'impression d'être face à un ennemi que nous ne pouvons ni comprendre, ni maîtriser.
Ce flou dans lequel j'évoluais en lisant les journaux m'a donné envie de me plonger dans quelques pages web sur le sujet.Je vous livre ci-dessous le résultat de mes recherches sur Wikipédia croisé avec mes souvenirs de terminale. Je ne suis pas spécialiste du sujet, mais j'ai tenté de vulgariser tout ça et de faire le lien entre des choses qu'on connait, tout en expliquant les termes utilisés couramment dans la presse (je ne suis même pas certaine que les journalistes savent toujours ce qu'ils signifient).

Les radiations
Les radiations ne sont pas des fantômes éthérés. Elles ont une existence physique : il s'ait de particules plus ou moins lourdes lancées à toute allure. Elles peuvent, lorsqu'elles rencontrent un matériau quelconque (en particulier le corps humain), provoquer des dégâts. C'est un peu comme des boulets de canons particulaires.
Selon le type de particule concernée, la radiation peut changer de nom. Le rayonnement alpha est dû aux noyaux d'hélium (He), qui sont assez lourds et peuvent être arrêtés facilement. Le rayonnement bêta est dû aux électrons et positrons, qui sont plus légers et par conséquent plus difficiles à arrêter. Des particules plus lourdes peuvent également constituer un rayonnement. Les photons (les particules de lumière), qui sont extrêmement légers (en fait, leur masse est nulle !) sont responsables, selon leur énergie, du rayonnement ultraviolet, infrarouge, micro-onde, X, gamma...

Les sources
Le rayonnement, en soi, est une chose naturelle.

Le sol terrestre contient des matériaux qui émettent spontanément des radiations : l'uranium, par exemple, émet des radiations alpha en se désintégrant. Des régions comme le Massif Central en France présentent un sol rayonnant plus qu'ailleurs  à cause de concentrations plus élevées qu'ailleurs de ces matériaux dans les roches (et ne comptez pas sur moi pour faire des calembours douteux sur les gens habitant cette région, pas de ça ici voyons).

Les étoiles crachent en permanence des radiations qui constituent le rayonnement cosmique. Ce rayonnement est dévié par le champ magnétique terrestre et piégé dans les ceintures de Van Halen (à ne pas confondre avec celui qui a commis Jump). Ces ceintures n'empêchent pas les radiations de pénétrer dans l'atmosphère terrestre au niveau des pôles : le passage des particules dans l'atmosphère fait scintiller les gaz atmosphériques et donne lieu au phénomène d'aurore boréale. Les ceintures ne sont pas imperméables et occasionnellement, les aurores boréales peuvent avoir lieu loin des pôles (ci-contre, une aurore boréale ayant eu lieu à Belfort - remarquez, vu comme il y fait froid l'hiver, on peut se croire près du pôle !). Le rayonnement cosmique est aussi plus perceptible en altitude élevée, dans un avion par exemple.
Au passage, ce rayonnement cosmique a donné lieu à quelques affabulations. Je ne parle pas seulement des 4 Fantastiques qui sont devenus des super-héros après avoir été exposé à ce rayonnement, mais aussi à ceux qui nient que l'homme aie marché sur la Lune car aucune navette ne sauraient traverser les ceintures de Van Halen sans dommage. Les tenants de la fin du monde proche, si possible en 2012 malgré les erreurs de calcul sur le calendrier Maya, parlent aussi d'un retournement des pôles, au cours duquel les pôles se baladeraient sur la planète, la soumettant impitoyablement à une cascade de radiations mortelles. Le phénomène étant très lent, cependant, nous aurions le temps d'évacuer les zones peuplées avant l'arrivée de la catastrophe.

S'il y a un truc qui m'énerve, c'est bien qu'on dise que tout ce qui est naturel est pur, beau et merveilleux. La nature, c'est pas seulement des lapinous gambadant dans les prés, c'est aussi les virus, les bactéries qui donnent des vilaines maladies, les hyènes qui mangent les bébés gazelles, l'acné et les pissenlits. Donc c'est pas parce que la radioactivité est un phénomène naturel que c'est forcément bien. Surtout si c'est utilisé n'importe comment.

A la radioactivité naturelle dont je viens de parler s'ajoute la radioactivité artificielle dont l'Homme est responsable. Il s'agit de celle des centrales et des bombes nucléaires, mais aussi celle utilisée dans le milieu médical pour le diagnostic (radio...) et la thérapie (radiothérapie...). Dans une moindre mesure, on peut citer le four à micro-ondes et la cabine de bronzage.
Autant je n'aime pas qu'on sacralise la Nature qui, pour belle et fragile qu'elle soit, n'apporte pas que du bon, autant je n'aime pas qu'on diabolise la science qui, même si elle est souvent mal utilisée, apporte du confort (dispensable, certes) et permet de sauver des vies. Ceux qui refusent à toute force le nucléaire quel que soit son usage doivent accepter de mourir d'un cancer qu'on n'aura même pas pu diagnostiquer.

Les effets
En tout cas, les radiations, à haute dose, c'est pas bon. J'ai comparé plus haut les radiations à des boulets de canons : une muraille très solide peut résister à un ou deux boulets de canon, mais il arrive forcément un moment où, à force d'être canardée, elle s'écroule. Notre corps, c'est pareil, quelques radiations n'ont pas vraiment d'effet, mais beaucoup...
On classe les radiations selon la particules qui les constituent, soit. On les classe aussi selon leur effet : il y a les radiations ionisantes et non ionisantes. Il y a donc celles qui ionisent le matériau qu'elles rencontrent et celles qui ne le font pas. Les non ionisantes, ça peut être les UV qui font bronzer, les micro-ondes qui réchauffent le café que j'ai laissé refroidir en donnant le biberon à mon lutin. Les ionisantes sont celles qui sont vraiment dangereuses.
La matière est constituée d'atomes. Les atomes sont constitués d'un noyau autour duquel se trouve un nuage d'électrons. La charge positive du noyau est compensée, normalement, par la charge négative des électrons. Si l'on arrache un électron à l'atome, le bilan des charges électriques est modifié, l'atome devient un ion chargé positivement. L'ionisation n'est pas si dure à réaliser que ça en a l'air, il suffit par exemple de frotter une règle en plastique sur ses cheveux pour ioniser les atomes des cheveux. Ces derniers seront alors chargés positivement et attirés par les électrons contenus dans la règle.
Les rayonnements ionisants sont ceux capables d'arracher les électrons aux atomes. Les rayonnements chargés électriquement  (alpha, bêta, ions lourds) le font en repoussant ou en attirant ces électrons, les particules neutres (neutrons, gamma) en provoquant des fissions (on va y revenir) qui elles-mêmes génèrent des particules chargées ionisantes.
Le rayonnement, en provoquant des ionisations, perd de l'énergie, ce qui le ralentit et peut finir par l'arrêter : un rayon alpha est, par exemple, arrêté par une feuille de papier, tandis qu'un rayon gamma nécessite 5 cm de plomb. L'énergie perdue par la particule est absorbée par le matériaux : la dose déposée, exprimée en Gray (Gy) correspond à cette énergie par kg de matière. Lorsque le matériau soumis au rayonnement est un tissu biologique, on multiplie la dose déposée en Gy par un facteur traduisant l'impact du rayonnement sur ce tissu pour obtenir la dose équivalente en Sievert (Sv).
Le transfert d'énergie du rayonnement vers la matière est l'irradiation. L'image ci-contre donne les niveaux d'irradiations reçus par un humain en une année. Ces niveaux sont considérés comme sans danger. Les irradiations importantes sont toujours quantifiées en Gy (je pense que le facteur multiplicatif permettant de passer du Gy au Sv est alors incorrect). Quelques Gy peuvent être mortels à long terme, 8 Gy sont mortels à court terme. En effet, l'absence des électrons arrachés modifie la configuration spatiale des molécules des tissus, cette configuration étant indispensable à leur bon fonctionnement.

Le nucléaire
Le terme "nucléaire" se réfère au noyau atomique. Ce noyau est constitué de nucléons, lesquels peuvent être des protons (chargés positivement) ou des neutrons (électriquement neutres). Toute interaction avec ce noyau est qualifiée de "nucléaire". Ainsi, l'IRM, qui tire profit des propriétés magnétiques du noyau, est une imagerie nucléaire. L'énergie tirée des transformations du noyau est l'énergie nucléaire.
Une centrale nucléaire produit de l'électricité à partir de l'énergie nucléaire. C'est une usine où cette énergie, tirée des atomes dans le réacteur nucléaire, est convertie en électricité. Concrètement, l'énergie nucléaire est produite sous forme de chaleur, laquelle est utilisée pour chauffer de l'eau. La vapeur d'eau fait tourner une turbine, dont mouvement rotatif permet de produire de l'électricité. A ce sujet, un article sympa a été publié récemment. La vapeur d'eau est ensuite relâchée dans l'atmosphère par les cheminées emblématiques (dont les parois ont la forme d'une hyperboloïde de révolution pour optimiser les échanges de chaleur, essayez de placer ça dans un dîner, ça en jette).

La réaction nucléaire exploitée dans les réacteurs actuels est la fission. La fission concerne les noyaux atomiques trop lourds pour être stables qui se désintègrent en noyaux plus légers et plus stables en émettant des radiations. Cette réaction dégage beaucoup d'énergie, c'est pour ça que le nucléaire a tant de supporters. Le nombre de désintégrations par unité de temps est exprimé en Becquerel (Bq).
Des noyaux lourds peuvent se désintégrer spontanément, mais le phénomène est alors trop rare pour être exploité. On utilise plutôt la fission induite : on fait absorber au noyau un neutron qui le rend encore plus instable, et le noyau se désintègre en émettant, en plus des radiations, noyaux et chaleur attendus, plusieurs neutrons. Ces neutrons peuvent, à leur tour, provoquer une fission : c'est la réaction en chaîne. L'absorption des neutrons est plus probable si les neutrons sont lents, d'où la présence de ralentisseurs à neutrons dans les réacteurs.
Un noyau lourd est un noyau dont le nombre de nucléons est très élevé. Un élément est dénomé à partir du nombre de protons qu'il comporte (1 pour l'hydrogène, 6 pour le carbone, 92 pour l'uranium...). Deux éléments avec le même nombre de protons (c'est donc un pléomasme !) mais un nombre différent de neutrons sont des isotopes. On accole alors au nom de l'élément son nombre de nucléons (ce qui force à calculer une division pour avoir le nombre de neutrons et à connaître par coeur le nombre de protons de chaque élément, c'est chiant !). Par exemple, le carbone 14 utilisé en datation contient 6 protons et 8 neutrons ; l'uranium 235 contient 92 protons et euh... 143 neutrons (merci la calculatrice !).
La fission nucléaire est sujette à deux inconvénients majeurs : les déchets radioactifs et les accidents nucléaires. Les déchets sont les atomes plus légers, donc plus stables, mais toujours radioactifs qui sont le résultat de la division du noyau lourd. Les accidents nucléaires peuvent avoir des conséquences plus ou moins grave. On entend souvent parler du risque de fusion du coeur du réacteur : le matériaux radioactif se désintègre et chauffe, et si cette chaleur n'est plus récupérée, elle peut monter jusqu'à faire fondre le matériau. Dans ce cas, il y a un risque de fuite dans l'environnement.

La fusion du coeur ne doit pas être confondue avec la fusion nucléaire, qui est la seconde forme de réaction nucléaire et celle qui a lieu dans les étoiles. Au contraire de la fission qui implique des noyaux lourds, la fusion implique des noyaux trop légers. Ces noyaux fusionnent pour former un noyau plus lourd, plus stable. Les produits de fusion ne sont pas radioactifs et la réaction  dégage plus de chaleur qu'une réaction de fission. La panacée ? Oui, si on savait faire tourner une centrale à fusion ! Aujourd'hui, on sait utiliser la fusion pour faire des bombes, mais pas pour faire des centrales. Comme quoi, c'est plus facile de détruire que de construire (ça va dans le sens du second principe de la thermodynamique, ça aussi à placer dans une conversation ça impressionne).

2 commentaires:

  1. Bonsoir,

    Juste une petite erreur : l'IRM est une technique qui ne produit pas de radioactivité, elle est basée sur l'utilisation d'un champ magnétique.

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  2. C'est corrigé, merci.

    J'étais trop pressée d'introduire l'IRM ! Pour l'anecdote, j'ai connu des physiciens spécialisés dans l'IRM qui ont souffert du fait que l'IRM soit un phénomène nucléaire (exploitant les propriétés magnétiques des noyaux des atomes, donc). Ils se sont retrouvés avec des tags "non au nucléaire !" sur leur labo. Ca fait vachement plaisir de se casser la nénette pour soigner les gens, hein !

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