jeudi 14 avril 2011

Ah, si j'étais un homme...

Ce billet ne concerne que moi. Je ne dis pas que tous les hommes sont comme ça, mais qu'avoir grandi dans un système patriarcal aurait probablement forgé chez moi une telle personnalité.

Si j'étais un homme, je profiterais tant que possible des avantages que mon sexe me confère, mais en m'arrangeant pour que ça ne se voie pas trop.

Si j'étais un homme, j'aurais un job à responsabilités, prenant, et bien payé. Je participerais à des réunions tard le soir sans me plaindre. Je serais aimable et paternel avec ma secrétaire et avec les petites stagiaires. Je recruterais des femmes en emploi précaire histoire d'avoir des femmes dans le service (c'est plus joli, c'est plus aimable et ça sert le café), et des hommes en CDI (ils s'investissent plus). Ayant lu dans un journal gratuit que les femmes assument 80% des tâches domestiques, j'éviterais de confier aux femmes des tâches importantes. Je trouverais que ce partage des tâches est injuste et ne repose sur aucune loi naturelle, mais puisque les familles fonctionnent comme ça, j'adapterais ma gestion du personnel en conséquence. J'exposerais mes raisons en public et personne ne me contredirait. Ceci m'éviterait d'avoir à travailler d'égal à égal avec une femme, ou, pire, sous ses ordres : je pourrais considérer les femmes avec lesquelles je travaille comme des inférieures.

Si j'étais un homme, j'aurais beaucoup d'humour. Je ferais des blagues dès que possible, avec esprit et à-propos. Evidemment, on ne fait pas de blagues sans se moquer de certaines catégories de la population. Je ne ferais pas de blagues racistes devant un Noir ou un Arabe, mais curieusement, je pourrais faire des blagues sexistes devant les femmes, ça ne gêne personne. 
A vrai dire, une femme aurait protesté une fois, je lui aurais rétorqué que c'était à prendre au second degré, que si on ne faisait pas ce genre de blagues, on ne ferait plus de blagues du tout, et puis j'aurais haussé les épaules, sachant bien que tout le monde était d'accord avec moi, apprécierait de m'entendre et qu'elle passerait, désormais, pour une rabat-joie mal baisée. Je pourrai ainsi me mettre en valeur à ses dépends.

Si j'étais un homme, je serais marié et fidèle. Ma femme aurait un emploi moins payé que le mien, ce qui paraitrait normal à tout le monde. Son niveau d'études serait inférieur au mien, et elle exercerait dans un domaine reconnu comme féminin (éducation, social...). Elle assumerait, bien sûr, la majeure partie des tâches ménagères, parce qu'elle travaillerait moins que moi, parce qu'elle ramènerait moins d'argent à la maison, parce qu'elle aurait le réflexe de les effectuer avant moi, et les exécuterait bien mieux que moi.
De temps en temps, je passerais l'aspirateur et le ferais soigneusement remarquer à tout le monde. Je passerais ainsi pour un homme moderne qui accomplit sa part des tâches et on m'encenserait pour ça (surtout ma mère qui n'aurait pas eu cette chance). Ma femme se féliciterait se m'avoir. Elle se sentirait, de plus, valorisée par ma confiance, car je lui abandonnerais tout pouvoir de décision en ce qui concerne la tenue de la maison. Ca me permettrait de ne pas me prendre la tête à la maison.

Si j'étais un homme, je m'occuperais bien de mes enfants, quand mon emploi me le permettrait. Je serais un père avec lequel on peut jouer, rire, inventif et plein de fantaisie. Je serais aussi une figure d'autorité. Complice avec mes enfants, je me moquerais volontiers de leur mère, entretenant ainsi chez eux un léger mépris pour elle. Elle aurait du mal à se faire respecter et culpabiliserait, en particulier lorsque les enfants afficheraient un comportement irréprochable en ma présence. En effet, les enfants me voyant peu seraient profondément désireux de me plaire et de susciter mon approbation.
J'éviterais les corvées avec les enfants, changer les couches quand ils ont fait caca, les gronder pour les broutilles, leur faire prendre les bains et se laver les mains. Je n'interviendrais dans les cas extrêmes, et je serais efficace. Je jouirais du désarroi et de l'admiration de ma femme qui ne pourrait se passer de moi.

Si j'étais un homme, je me payerais le luxe de mépriser les femmes qui ne collent pas à l'idéal inatteignable que je me serais bâti. Les bavardes, les geignardes, les silencieuses, celles qui couchent trop, celles qui ne couchent pas assez, les pas assez jolies, les trop jolies, les grosses, les maigres, les intelligentes, les stupides... Toutes seraient la cible de petites remarques blessantes et de blagues pas toujours très subtiles visant à leur rappeler leur imperfection. En fait, n'étant pas des hommes, elles sont forcément ratées.
Quant à ma mère, je l'adulerais pour ses qualités et la haïrais pour ses défauts. Je lui paierai tribut de mon admiration pour m'avoir amené sur Terre, je le ferai payer par mon mépris pour ne pas m'avoir fait dieu. Mes manquements et mes faiblesses seront sa responsabilité, jamais la mienne. 

Si j'étais un homme, je ne tromperais pas ma femme pour ne pas risquer de la perdre, car je dépendrais d'elle pour tenir la maison. D'ailleurs, j'aurais bien conscience que j'aurais peu de chances, en cas de divorce, d'obtenir la garde des enfants, et je ne me gênerais pas pour rappeler à tout le monde cette inégalité aux dépends des hommes. En revanche, je regarderai les femmes avec une insistance assumée, car les posséder par le regard et me dire que je pourrais, si je voulais, les obtenir, me procurerait une satisfaction dont je refuserais de me passer. J'aurais, en outre, l'impression de leur faire un compliment en les regardant, de rendre hommage à leur beauté ; je serais persuadé que les jolies femmes ne sont là que pour me charmer et qu'elles prennent plaisir à être vues (sinon, elles se cacheraient, non ?).
J'aurais une sexualité tout à fait épanouie avec ma femme. Elle se mettrait en quatre pour me satisfaire et me serait reconnaissante de toutes mes attentions, sachant bien que peu d'hommes en font autant. Je jouerais à la faire jouir et serais fier du résultat. De toute manière, en cas d'échec, elle culpabiliserait, pas moi.
Dans ma jeunesse, je serais allé aux putes quelquefois. La première fois pour essayer et faire le malin devant les copains, la deuxième fois parce que j'aurais trouvé ça agréable et excitant, mais à partir de la troisième fois, la tristesse des étreintes sans tendresse, où l'on cherche par l'intensité des ébats à compenser l'absence de sentiment, où la domination est un piètre substitut à l'amour, m'aurait lassé. J'en aurais gardé un léger mépris (teinté d'une légère honte d'avoir cédé) pour les clients, une croyance absolue en l'existence d'une misère sexuelle contraignant les clients à avoir recours aux prostituées malgré l'insatisfaction à laquelle ils sont condamnés, et une opinion bien tranchée pour la réouverture des maisons closes (où l'on peut baiser au chaud) et contre la pénalisation des clients (car punir les clients reviendrait à dire que j'ai commis un viol, chose que je prendrais comme une insulte, m'accrochant à l'illusion de la pute libre et consentante comme un bulot à son rocher).

Si j'étais un homme, je serais un bon vivant, qui mange bien, boit bien, et apprécie les femmes. Je serais gaulois et cultivé à la fois, accrochant dans mon salon des reproductions de toiles de maître présentant des femelles dénudées, écoutant des chansons vantant les femmes (Julien Clerc, Michel Sardou, Renaud...), admirant le talent des bonnes actrices (Angelina Jolie ? Un grand talent. Bonnet D, au moins).
Le faible nombre de femmes artistes célèbres aurait ancré en moi l'idée qu'une femme ne peut être créatrice. Elle peut être inspiratrice, muse, modèle, mais elle ne peut que reproduire en non produire. Comme Galatée, elle est façonnée de la main de l'homme pour meubler son univers, mais elle ne sera jamais Pygmalion.
Je ne croirais pas, cependant, que les femmes sont trop sujettes à leurs hormones pour être fiables et mener à bien un raisonnement. Au contraire, je saurais les femmes capables des mêmes performances intellectuelles que les hommes mais en sont empêchées par le doute que leur éducation à installé en elles. Leur incapacité à rejeter ce conditionnement nourrirait mon mépris à leur égard.

Si j'étais un homme, je jouirais tant de me sentir supérieur aux femmes que je serais incapable de remettre en question mes préjugés. Mais je suis une femme, et j'ai tant souffert de me sentir inférieure que j'ai dû chercher la vérité de ma nature et cesser de me conformer aux clichés. 
Finalement, c'est une bonne chose que je sois née femme.


Illustrations :
Affiche "Coup de pouce du vivier" photographiée à Châtenay-Malabry par Olympe (lire son billet)
Détournement "Léa Passion corvée de chiottes" par Emelire (lire son billet)
Henry Robert Morland,
Une femme lavant son linge
Auguste de Châtillon,
Victor Hugo et son fils François-Victor
Carlo Dolci,
Madonna
Henri de Toulouse-Lautrec,
Moulin Rouge : La Goulue
Jean-Léon Gérôme,
Pygmalion et Galatée

1 commentaire:

  1. Waow ! Génial ton texte !!! Et tu n'as pas à te justifier: tous les hommes ne sont pas comme ça mais tous peuvent l'être sans rien risquer et le sont soit par certains côtés soit à certains moments. Le problème est là, je crois.

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