mercredi 25 avril 2012

Libres d'être femmes

Je suis allée tout récemment voir un film qui ne passe pas le Bechdel test. Un film gentillet, avec des animaux et des bons sentiments, vous connaissez mes goûts. Avant le film, vu son genre, les bande-annonces présentaient plutôt des films pour enfants. J'ai donc pu voir la bande-annonce de Rebelle. Et là, il y a un truc qui m'a frappée.
Les histoires de filles qui sortent de leur rôle de fille, c'est pas nouveau. Il y a eu Tiana, et dans une moindre mesure, Belle. En général, elles souffrent d'être cantonnées à ce rôle ingrat (et on les comprends), elles se rebellent, conquièrent un bastion masculin, et finalement trouvent l'amour comme toute femme doit en rêver. Elles sont exceptionnelles, rares, et extrêmement méritantes car capables de cumuler des qualités masculines et féminines.
On ne s'étonne plus guère, aujourd'hui, de voir des femmes vouloir leur place dans le monde masculin. Celui-ci semble clairement plus agréable que le monde féminin. Cette iconographie est d'ailleurs le reflet de la condition féminine moderne : capables d'agir comme des hommes, mais toujours femmes au fond.
Ces filles se valorisent en gagnant des attributs masculins, mais gare à elles si elles vont "trop loin" et renient leur féminité. Car, si le droit de tendre vers la perfection masculine est relativement acquis, le droit à cesser d'être féminine ne l'est pas. Les filles et les garçons sont toujours séquestrés sur Mars et Vénus sans que le retour sur Terre soit envisagé. Les Vénusiennes peuvent jouer au Martien si elles le veulent, ce n'est qu'un jeu bien compréhensible. De leur côté, les Martiens jouent... au Martien.

Mais quand est-ce que les hommes réclameront le droit d'être féminins? Quand est-ce que cette idée cessera de choquer ou de provoquer des moqueries homophobes?
Nous avons gagné bien des batailles. Nous pouvons user de privilèges autrefois réservés aux hommes. Et les hommes? Ils ne peuvent même pas porter une jupe rose. Pas parce que les hommes sont lésés! Parce que le féminin est toujours dévalorisé par rapport au masculin. Chacun comprendra la lutte féministe pour le droit à être des hommes comme les autres, d'ailleurs nous exerçons déjà en grande partie ce droit, sans être trop chahutées tant que nous restons féminines pour l'essentiel. Mais la lutte, toujours féministe, pour que les hommes gagnent le droit d'être des femmes comme les autres est encore à inventer. Il y a certes des initiatives, plus ou moins honnêtes, pour les droits des papas, mais c'est tout. L'égalité ne sera réelle que quand un homme pourra porter une jupette rose s'il en a envie, sans intention de se déguiser, sans être considéré comme un travesti ni subir de moqueries.
Le mépris du féminin est, d'ailleurs, tellement ancré, que l'une des accusations les plus courantes contre le féminisme est celle du refus de la féminité. La lutte pour le droit de n'être pas féminines est comprise comme la lutte contre la féminité : il parait plus logique de vouloir se débarrasser de cet odieux carcan que de s'en emparer et de cesser de le vivre comme une fatalité. C'est absurde, comme l'est l'accusation de pruderie qui découle du dégoût religieux du sexe.

Je n'ai guère pu m'identifier à ce genre de personnages féminins au cours de mon enfance. Ces filles transgressant les règles établies pour simplement être elles-mêmes m'enthousiasmaient moins que les personnages masculins bien dans leur peau, castagnant les Romains en rigolant. Pire, leur transposition dans le passé semblait me dire : "de quoi te plains-tu, tu as de la chance, tu es libre". Libre de quoi ? D'assumer une double journée de travail ? De me pourrir la vie pour coller au modèle de la femme parfaite, mi-pute mi-soumise ?
Les filles ont deux types de modèles : ces filles exceptionnelles et les princesses. Les premières disent aux petites filles qu'elles gagneront tout à tenter de conquérir des bastions masculins, mais qu'elles souffriront au passage (ça donne vachement envie).  Les secondes qu'il existe une voie tranquille vers le bonheur, celle de la passivité et de la soumission. Combattre ou se soumettre, voilà notre choix. Les garçons n'ont même pas ce choix. Leurs modèles sont soumis à l'ordre établi et s'en portent très bien. Ce modèle n'est pas qu'un modèle valorisé, c'est un modèle unique. On ne leur laisse même pas d'alternative, on ne les laisse même pas imaginer autre chose.

La véritable transgression n'est pas de présenter une fille disposant de qualités qu'on nous a appris à considérer comme supérieures. Ce serait de présenter un garçon se battant pour porter des jupes, pour être coquet, ou refusant de se battre. Ce serait de cesser de présenter la féminité comme une geôle d'où les filles cherchent à s'évader, mais comme un ensemble de caractéristiques pas plus honteuses que d'autres, et désirables pour certains garçons qui ne sont pas forcément des tarés.
Voilà une idée révolutionnaire : on peut être né garçon, désirer faire comme une fille, et ne pas souffrir de pathologie relevant de la psychiatrie. Un truc de ouf !


18 commentaires:

  1. Les mentalités changent tout doucement mais je trouve qu'elles changent quand meme. Un hommme se cache moins de mettre une crème de jour ou un t-shirt mauve qu'à une époque, même si on est loin de la liberté absolue. Le problème, c'est toujours cette image de la virilité: un homme qui exprime sa féminité est par conséquent non viril et ça devient vite un drame, de la meme façon qu'une femme féministe est forcément contre l'épilation et les soutien-gorges !! Tant que ces valeurs seront transmises, on n'avancera pas beaucoup. Par contre, il existe des films (rares) qui proposent des choix comme "Billy Elliot" qui est une merveille de tolérance et d'ouverture d'esprit.

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    1. Le t-shirt, il est pas mauve, il est parme. =]
      Je n'ai pas vu Billy Elliot. Va falloir que je le regarde !

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  2. ah oui
    moi aussi votre article m'a automatiquement rappelé "Billy Eliot" qui m'avait beaucoup ému
    c'est l'histoire d'un petit garçon dans une famille prolétaire anglaise de mineurs donc très phallocrate et qui veut faire de la danse, sans pour autant être homosexuel. il est accompagné de son meilleur ami qui lui est homosexuel très féminin au sens du modèle classique.
    c'est très beau.
    et ça montre très bien toute l'immense et inconcevable difficulté pour un garçon de vivre autre chose que le modèle masculin du viriarcat. on n'a effectivement aucune échappatoire hors de celle de devenir exceptionnel et sacralisé comme artiste ou homosexuel ou psychopathe.
    pour moi, vivre autre chose ça ne tient pas à revendiquer le port de la juppe ou l'utilisation de crême de jour : mais celui de l'expression de sa délicatesse et de sa douceur à soi-même, de ne pas vivre en devant tout le temps affronter la brutalité et d'en faire preuve, de pouvoir exprimer son émotivité les larmes aux yeux sans que cela provoque une décrédibilisation du discours que l'on exprime en même temps.
    c'est aussi pour exprimer que l'on souffre radicalement de l'imposition d'un modèle qui du fait même qu'on ne l'incarne pas vous juge en étant moins que les incarnations du modèle opposé et qui est constamment dévalorisé : un homme qui n'incarne pas le modèle masculin est moins ET Pire qu'une femme. C'est un traitre.

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    1. J'ai utilisé la jupe comme une image : bien sûr, la féminité n'est pas limitée aux vêtements !
      Quant au mot "traître", je suis tout à fait d'accord.

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  3. Il faut dire que tout n'est pas bon à prendre dans la féminité. Il me semble qu'un trait majeur de la féminité est le consumérisme effréné, qui ne me paraît bon pour personne.

    Simone de Beauvoir disait dans Le deuxième sexe que l'on passait (voire encourageait) leur narcissisme aux petites filles et l'interdisait aux petits graçons, car on avait pour ces derniers un idéal plus élevé. Faut-il proposer un même idéal aux deux sexes ? Ou privilégier la liberté de choix aux modèles et idéaux ?

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    1. *un trait majeur de la féminité telle qu'elle est vécue AUJOURD'HUI, évidemment.

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    2. ben en observant les garçons ou les hommes en général, je n'ai pas du tout l'impression que le consumérisme soit un truc spécialement féminin...

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    3. Tout n'est pas bon à prendre dans la féminité, ni dans la masculinité : les deux contiennent des caractéristiques peu attrayantes. Et il y a du bon dans les deux aussi.
      Je suis pour la liberté de choix. Un garçon comme une fille doit pouvoir choisir entre le foot et la danse...

      Quant à la question du consumérisme, il concerne effectivement tout le monde, mais dans des domaines différents. Aux hommes les machins chers et m'a-tu-vu, aux femmes les choses pratiques et jolies, ce qu'il faut pour les enfants, pour la maison, et pour se pomponner. Je pense que ça se vaut, au final.

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  4. Moi, je trouve ça triste de ne jamais voir de garçons en jupe. Ni en rose.
    Mais ce n'est pas seulement parce que la féminité est considérée comme inférieure ( même si c'est déjà vraiment n'importe quoi ). Où est passé la liberté ? =/
    Sinon, moi je lutte aux quotidien pour que les garçons aient la liberté de faire " comme les filles ". Mais je dois avouer que ça ne sert pas à grand chose, à part me prendre des remarques du style " t'es chiante " ( c'est un trait de la féminité moderne après tout ) ou bien des moqueries.
    Mais un jour les jupes masculines vaincront ( je l'espère ).

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    1. Si ce n'est pas hiérarchique, pourquoi les femmes ont-elles le droit de s'habiller (presque) comme des hommes alors que les hommes ne peuvent s'approcher de l'habillement féminin ?

      Ca ne m'étonne pas que tu butes sur des moqueries. C'est encore bien ancré, tout ça...

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    2. Premièrement, je n'ai jamais dit que ce n'était pas hiérarchique, seulement ( mais c'était mal exprimé ) qu'au premier abord ce n'était pas ce qui m'avait choquée.

      " Presque ", justement. Enfin je ne sais pas, mais moi je n'ai visiblement pas le droit ( pas plus que je n'ai le droit d'être " trop féminine " d'ailleurs. Quoique je fasse c'est mal - bah oui suis-je bête, si je sors comme ça je vais me faire violer puisque les hommes savent pas se contrôler, mais oui bien sûr).

      Dans tous les cas il faut toujours s'en tenir à la virilité ou à la féminité, et surtout correspondre à tous les stéréotypes existants.
      ... à force de se battre on changera ça. J'espère.

      En effet... D'ailleurs il paraît que je vais trop loin et que je vois le mal partout.

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    3. euh Emily, moi aussi hein on n'arrête pas de me dire depuis trèèèèès longtemps que je fais tout mal...
      bon alors maintenant hein ça suffit : j'ai pris l'habitude, mais je me suis quand même forcé tant la pression du culpabilité est forte, de dire plus que me dire, que ceux qui me disent que je fais... mal, sont des cons.
      c'est très pratique
      c'est pas facile contrairement à ce qu'on va vous rétorquer parce que c'es très inconfortable d'avoir une position aussi solitaire
      mais tout d'un coup, ça redonne un peu de force pour se relever et mettre un pas devant l'autre.

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  5. Bonjour !

    Juste pour dire que si vous voulez du dessin animé qui sort de la représentation habituelle de la femme, il y a Miyazaki. Ses personnages sont toujours des femmes, fortes, et qui n'ont pas pour but de trouver l'amour, ou qui ne se reposent pas sur un/des hommes. C'est à ma connaissance le seul exemple de personnages féminins comme cela.

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    1. je sais pas si le but c'est de ne pas trouver l'amour... ou plutôt s'inscrire dans une ogligation de se soumettre à un modèle d'amour paticulier
      et aussi non pas se reposer sur quelqu'un mais plutôt ne pas se soumettre à quelqu'un...

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    2. J'ai peu vu de Miyazaki, je ne me rappelle que de Mononoké et Chihiro. J'ai adoré le second, ceci dit.
      Il faudra que je me fasse une rétrospective en ouvrant un peu plus les yeux. Merci du tuyau.

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  6. D'abord, une réaction par rapport au commentaire de Matou: le consumérisme n'est pas typiquement féminin (comme le souligne Paul) ... voitures, écrans plats, etc. Il ne porte pas sur les mêmes biens c'est tout.

    Et puis une autre sur les associations de droits des pères qui comme tu l'évoques plus ou moins sont carrément malhonnêtes et dont le but est de récupérer la garde d'enfants par pur instinct de propriété. En gros, ils souhaitent reprendre le bien dont leur compagne a pris soin pendant les années de vie en commun (la double-journée, c'est ça aussi ...).

    Je sais, je suis pénible avec mes commentaires pinailleurs ! Ca ne m'a pas empêchée d'apprécier tout le reste de ton billet. Merci !

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    1. Ménon, tu n'es pas pénible ! C'est toujours bon d'avoir quelqu'un de pointilleux.
      A vrai dire, les associations de défense des pères que j'ai vues sont effectivement du genre que tu dénonces. Mais je ne connais pas assez l'ensemble du mouvement pour dire qu'ils sont *tous* malhonnêtes.
      Ceci dit, sur le forum féministe que je fréquente avec plaisir (http://feminisme.fr-bb.com/), j'ai lu que quand les pères demandent la garde partagée, ils l'obtiennent ; si la garde est souvent accordée aux mères, c'est parce que les pères ne la demandent pas. Il n'y a donc pas de droit à défendre, mais des pères à encourager...

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    2. Moui...
      Deux cousins de mon conjoint qui sont des papas très investis m'ont dit "surtout laisse le papa s'occuper des enfants". J'ai rigolé parce que dans leur organisation du couple, on ne peut pas dire qu'ils ne s'occupaient pas de leurs enfants. Et là j'ai vu une véritable expression de souffrance de la part de l'un et d’acquiescement grave de l'autre "si vraiment laisse sa place au papa".
      Et là j'ai vu ces petites choses auxquelles je ne faisais pas forcément attention, que leurs conjointes avaient une tendance moralisatrice et donneuse de leçon voire même de martyre autoproclamée "mais si va manger JE donnerais le biberon" alors qu'ils savaient parfaitement s'occuper de leurs bébés. Une d'elle vivait même très mal le fait que les enfants soient plus proches de leur père parce qu'étant en horaire décalé il passait plus de temps avec eux. Elle trouve cette préférence illégitime parce qu'elle est LA mère. Alors que dans le contraire, un père n'a pas à afficher de souffrance parce que son enfant malade va appeler sa mère plutôt que lui.
      Une collègue disait qu'en cas de séparation elle voudrait ses enfants, elle aurait du mal à accepter la garde partagée cela la ferait souffrir elle. J'ai osé évoquer que le père allait aussi souffrir de cette séparation et qu'il fallait donc faire des concessions des deux côtés. Mais non parce que sa souffrance à elle est plus légitime parce qu'elle est LA mère alors même que dans ce couple, les horaires décalés du père font qu'aussi les enfants sont plus proches et rassurés avec leur père.
      Une amie jeune maman faisait la morale à mon conjoint à lui disant que c'est normal si j'ai une relation fusionnelle avec mon bébé à naitre et que je décide de tout et qu'il soit exclu de cette relation. Elle se justifiait aussi d’exclure son conjoint par le fait qu'elle sait mieux que lui s'occuper des bébés sans lui laisser la possibilité d'apprendre, de s'améliorer, c'est un motif de fierté pour elle en tant que "fâme". J'ai donc répondu que je n'avais jamais fait de babysitting et que je serai aussi désarmée que mon conjoint pour m'occuper du bébé. Et en huis clos, j'ai dit à mon conjoint qu'il avait légitimement le droit de m’engueuler si je ne lui laissais pas sa place. En même temps, je suis consciente d'être moins "maternelle" (m'énerve ce mot) et même moins organisée que mon conjoint, que mes enfants seront surement plus proches de lui et qu'il faudra que j'assume cet état de fait "anormal" envers les autres qui me demanderont seulement à moi des comptes, voir même la fierté des autres "fâmes" qui elles sont des vrais mères contrairement à moi.
      Bien sûr je parle de ma génération moins de 30 ans, mais si l'éducation des hommes doit évoluer celles des femmes aussi.

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