vendredi 17 février 2012

On n'est pas finies. 2. Une page de publicité

Je vous rassure, je suis complètement remise de mon traumatisme (voir partie 1).
Maintenant, je suis comme Martin dans Cars 2 qui ne veut pas qu'on répare les bosses de sa carrosserie car chacun lui rappelle un souvenir. Moi, je ne veux pas faire un régime pour faire disparaître mes bourrelets car chacun me rappelle un souvenir : mes grossesses, le repas de Noël, les crêpes au Nutella de la Chandeleur, la tartiflette du week-end dernier, la fondue de la Saint-Valentin... Et puis c'est bien pratique pour poser la bière.

Me voilà donc, zen, bien dans ma peau, le PC sur les genoux devant la télé tandis que le hobbit joue gentiment sur le tapis et que bébé lutin dort sur mon bourrelet de droite.
Je suis tombée sur ceci. En résumé, les chaussures à talon hauts modifient les muscles et les tendons, augmentant le risque de blessure. Rien qui me surprenne. Mon attention a surtout été attirée par une toute petite phrase dans l'article :  
Whether high heels might likewise affect the wearer’s biomechanics and injury risk has received scant scientific attention, however, even though millions of women wear heels almost every day (La question de savoir si les talons hauts pourraient vraisemblablement affecter la biomécanique du porteur et le risque de blessure n'a reçu que peu d'attention scientifique, bien que des millions de femmes portent des talons presque tous les jours).
Respire, Kalista, respire, faut pas hurler, ça réveillerait bébé.
Faut croire que la santé des femmes n'intéresse personne. Ni les scientifiques qui ne font des études sur la question qu'occasionnellement, ni dans les médias, car la news n'a été reprise que dans un blog du Monde. C'est pas tellement étonnant, quand on sait que l'anatomie du clito n'est pas connue depuis longtemps et que personne n'est vraiment au courant des résultats de ces études.

J'ai levé le nez de mon PC pour ne pas m'énerver plus. La télé, réglée pour diffuser un programme non violent et non vulgaire à une heure où les enfants ne sont pas encore couchés (et j'en ai chié pour trouver !), diffusait malheureusement une page de publicité.

Chaussures qui subliment la démarche.
Sous-vêtements et collants qui subliment la silhouette.
Mascara qui sublime le regard.
Rouge à lèvres qui sublime le sourire.
Vêtements qui subliment le corps.
Parfum qui subliment l'aura.

On n'est pas finies. Il nous faut des produits spécifiques pour être sublimées.
Même si on a des doutes sur leur impact sur ta santé, même si on connait leur impact dramatique sur notre bien-être. Nous sommes moches, puantes et imparfaites, et nous avons besoin du marteau et du burin de la grande con-sommation pour être enfin dignes de l'attention qu'on réserve à un être humain achevé.

La pub...
Elle joue avec les codes pour mieux toucher et, ce faisant, les présente comme un modèle. L'éliminer ne détruirait pas le sexisme : avant la publicité, les femmes étaient-elles mieux considérées ?  Mais la contrôler éliminerait un biais de propagation des stéréotypes.
Les structures de contrôle devraient vraiment se réveiller. Quel est le message envoyé à nos chères têtes blondes ? Quel modèle la pub impose-t-elle aux petites filles ? Comment les petits garçons vont-ils voir les femmes ?

Je me suis amusée à faire la liste de ce qui ne va pas chez nous, et de ce qu'on doit corriger, bien que ce soit difficile, douloureux ou dangereux. Si ça ne m'a pas paru long à trouver, ça m'a paru très long à écrire.
  • Nos pieds sont moches, il faut déformer leur courbe naturelle en portant intensivement des talons hauts. Tant pis si ça a une influence sur les os, les muscles, les tendons, tant pis si c'est douloureux, tant pis si c'est dangereux, tant pis si notre marche en est entravée : notre bien-être et notre santé sont moins importants que la beauté de nos pieds et la grâce de notre démarche.
  • Nous ne pouvons porter des vêtements simples qui épouseraient les courbes naturelles du corps et le laisseraient se mouvoir librement : il nous faut des jupes, si possible courtes, même en plein hiver, quitte à se choper une pneumonie. Tant pis si ça empêche de faire des grands pas. Notre bien-être et notre santé sont moins importants que notre look.
  • Nous sommes poilues, c'est laid, nous devons donc arracher tous nos poils. Tant pis si ça fait atrocement mal, surtout au début, tant pis si on retire une partie de soi, tant pis si les poils servent à quelque chose : le poil féminin est honni, notre bien-être et notre santé sont moins importants que son élimination.
  • La cellulite ? Une horreur. Il faut l'éliminer. Tant pis si sa présence est naturelle, tant pis si son absence est problématique. Notre bien-être et notre santé sont moins importants qu'avoir une peau lisse.
  • Notre silhouette est forcément imparfaite, il faut des collants galbants, une culotte gainante, des soutiens-gorges qui remontent et gonflent la poitrine. Surtout, passé 30 ans, forcément, on a les seins qui tombent. Ces objets entravent les mouvements et sont inconfortables ? Allons, mesdames, c'était pire au XIXème siècle, de quoi vous plaignez-vous ? Notre mobilité et notre bien-être sont moins importants que notre silhouette.
  • Notre touffe est particulièrement sale, et a besoin de toilettes répétées à base de lingettes et de savons parfumés pour cacher nos odeurs immondes. Tant pis si trop la récurer provoque démangeaisons et mycoses. Notre santé est moins importante que le parfum de notre chatte.
  • Notre visage doit absolument être peint. Notre bouche n'est pas assez pulpeuse, pas assez brillante, pas de la bonne couleur ; notre teint pas assez uni, pas assez mat, trop brillant, manquant d'éclat ; nos yeux sont sans charme, il faut appliquer mascara, eye-liner et fards pour sublimer notre regard. Tant pis si s'étaler des produits chimiques sur la gueule prend un temps infini. Notre temps n'a aucune valeur.
  • Nos cheveux n'ont jamais l'aspect qui convient : trop frisés ou pas assez, il faut des produits capillaires pour entretenir leurs boucles, les lisser, les colorer, leur donner du volume et du brillant. Au naturel, c'est du crin. Tant pis si l'usage de ces produits les abîme, vu que de toute façon, ils sont laids.
  • Nous sommes sans éclat, il faut des bijoux à toutes nos articulations. Notre odeur naturelle n'a rien d'agréable, il faut qu'on sente les fleurs, le musc, les agrumes. Tant pis si ça coûte un pognon fou. Notre argent n'a pas la même valeur que celui des hommes. De toute façon, on se les fait offrir, vénales que nous sommes.
Si tu ne sues pas sang et eau pour te mettre à niveau, tu seras seule et abandonnée. Ton mec te trompera avec une fille qui, elle, fait ce qu'il faut (envoie "Trompe" au 6.20.21).

Ce que les enfants apprennent devant leur télé, en voyant les affiches dans la rue, en passant dans les magasins, c'est la haine le corps des femmes.
Car c'est bien de haine qu'il s'agit. Comment expliquer autrement toutes cette souffrance infligée, tout ce temps perdu, tout cet argent dépensé, toute cette énergie gâchée pour transformer le corps humain en un corps de déesse éthérée, dénaturée, déstructurée, au mépris de simples considérations sanitaires et écologiques ? Cette haine nous pousse à modifier notre apparence pour correspondre à un idéal impossible et à souffrir, de manière moins violente que dans le cas d'une mutilation mais avec une intensité non négligeable, pour nous punir de n'être qu'humaines. Parce qu'on n'est pas finies et qu'il faut nous achever, coûte que coûte.

13 commentaires:

  1. Tu n'as rien oublié, tout y est !

    Ici tu as le type de déformation des pieds dont je suis affligée. Mes pieds ne ressemblent pas complètement à ceux-là mais ont un air de parenté certain :
    http://www.podologuesport.com/images/hv8.jpg

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  2. Si si, tu as oublié un truc : les rides et tout ce qui va avec. Nous n'avons pas le droit de vieillir.

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  3. @ Euterpe : Arg ! Faudrait montrer ça aux gamines qui réclament des chaussures de Barbie...

    @ Déconstruire : Ah oui ! En fait, il faudrait rajouter tout un paragraphe sur les crèmes de beauté, anti-rides, revitalisantes, retonifiantes, au concombre, à la perle, aux enzymes...

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  4. Merci de rappeler tout ça et de le mettre en lien avec la haine (du corps) des femmes. Je viens juste du super blog "Entre les lignes, entre les mots" où un billet est consacré à l'ouvrage de Mona Chollet (la seule signature, avec Noam Chomski, pour laquelle j'achète parfois le Monde Diplo !): Beauté Fatale, les nouveaux visages de l'aliénation féminine. L'auteur du billet y relève quelques réflexions dont celle-ci:

    « Le corps est le dernier lieu où peuvent s’exprimer la phobie et la négation de la puissance des femmes, le refus de leur accession au statut de sujets à part entière »

    ...

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  5. Le lien vers le billet en question:

    http://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2012/02/13/lomnipresence-de-modeles-inatteignables-enferme-nombre-de-femmes-dans-la-haine-delles-memes/

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  6. Tu as toujours le mot juste, malheureusement

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  7. @ Héloïse : Merci pour le lien !

    @ Cléophis : Merci !

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  8. J'ai essayé pendant des années de coller à cette image. Je suis toute petite < 1,50m , en surpoid et dotée de "vrais" pieds de chinoise (très déformés, tailles différentes et pas d'orteils). Résultat aujourd'hui : 90 % du temps je suis en T-shirt, jean et baskets. J'ai 1 pantalon, 3 hauts et une paire de bottines que je ne mets que pour certains concerts. Et je suis enfin moi. Pas une poupée, pas un idéal, juste moi.

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  9. @ Anonyme : "Juste" toi, c'est déjà énorme. Tout le monde ne peut pas en dire autant. :-)

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  10. mince...suis-je une femme???
    je ne me maquille presque jamais, je n'aime ni les talons hauts ni les jupes, et j'essaie de faire comprendre à mes filles qu'on n'est pas "jolie" parce qu'on en porte une (elles ont 8 ans...l'une d'elles rentre de l'école et me rapporte les propos de sa maîtresse "tu es jolie aujourd'hui" ...elle portait une jupe...)
    tout ce que tu écris est juste, et m'énerve depuis un moment...

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  11. C'est marrant que tu parles de jupes, aujourd'hui j'en ai exceptionnellement mis une et on ne m'avait pas autant complimentée sur ma tenue depuis longtemps... J'ai l'impression d'avoir mis une panoplie !

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  12. Bonjour
    je remercie Héloise pour son appréciation du blog que j'anime.
    j'espère pouvoir faire rapidement une note de lecture sur le livre de Sophie Pietrucci, Chris Vientiane et Aude Vincent "Contre les publicité sexistes" (Editions de l’Échappée).
    La note sur le livre de Mona Chollet est bien évidemment librement reproductible comme tous les autres textes mis sur le blog.
    cordialement
    didier
    http://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/

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  13. Kalista : oui , hein , c'est bizarre ^^
    ce que je n'aime pas entendre c'est "tu vois, quand tu fait des efforts..."
    ceci dit, je me souviens de la remarque d'un vieux monsieur il y a quelques années, j'étais habillée de façon masculine -enfin, comme j'aime- (je crois même que je portais une cravate et un chapeau)il se marrait en me disant : "ah, mais elles nous piqueront vraiment tout !!!"

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