J'ai commencé au moins trois fois un billet sur
le buzz Petit Bateau, j'ai supprimé ma production à chaque fois. Ce qui me touche, dans cette affaire, ce n'est pas le fond (des vêtements genrés, il y en a depuis longtemps) mais le fait que la plupart des réactions que j'ai vues prouvent que leurs auteurs ne voient pas où est le problème. J'ai donc voulu l'expliquer, mais j'ai trouvé que ma production était de piètre qualité et enfonçait des portes ouvertes.
Je réessaye aujourd'hui pour répondre à
ce billet qui est construit, réfléchi, et sans noms d'oiseaux (ça nous change !) : l'auteure mérite une réponse construite, réfléchie, et argumentée. Promis, je n'utiliserai pas de noms d'oiseaux non plus !
J'aime ce texte car il reprend posément pas mal d'idées qui me semblent partagées par une bonne partie de nos concitoyens. Je vais répondre point par point à ce qui me parait être les phrases-clé. Evidemment, c'est mon opinion que j'exprime, ma vision du féminisme qui peut être contestée (ne vous gênez pas dans les commentaires). Je ne suis malheureusement pas sociologue ni philosophe et j'emploie peut-être mal certains termes.
Allez, c'est parti.
"...quand je vois que certaines essayent de mettre du féminisme partout, même concernant les plus anodins des sujets, ça me gonfle."
Hélas, le féminisme dénonce un
système sexiste et patriarcal. C'est-à-dire que le sexisme vient se nicher partout et que rien n'est anodin. Tout est lié : les mots qu'on utilise, les vêtements et les jouets des enfants, jusqu'aux violences sexistes les plus sévères.
Les détails sexistes ont de grands effets. Il faut donc réfléchir à tout ce qu'on dit ou fait, tout remettre en cause. C'est chiant, fatigant, stressant, mais on a la satisfaction de fouler aux pieds les oeillères que notre éducation nous a greffées (et il y a
quelques autres avantages...).
"des féministes [...] ressortent des études du CNRS sur l'influence que les images sexistes peuvent avoir sur les nourrissons... etc..."
Oui, des études (qui n'émanent pas que du CNRS : c'est un phénomène mondialement connu) prouvent que les nourrissons sont influencés par le comportement des adultes. Quand on les habille "en garçon" ou "en fille", le comportement des adultes envers les enfants change, et les enfants le ressentent. Ils apprennent vite à adopter des comportements suscitant notre approbation : une fille adoptera un comportement "de fille" et une garçon "de garçon". C'est un
fait qu'il me parait important de rappeler. Citer des études permet, en outre, de montrer qu'il ne s'agit pas d'une opinion ni d'une marotte de vieille peau mal épilée, mais d'une vision étayée de la société basée sur une théorie mûre et éprouvée (
n'en déplaise à Christine Boutin).
" Franchement... les associations féministes n'ont pas des causes plus importantes à défendre?"
Si, mais les associations s'en occupent aussi, ne vous inquiétez pas. C'est pas parce que les médias n'en parlent jamais que rien n'est fait (par exemple, tout récemment,
une campagne a été lancée contre le viol conjugal). Mais dénoncer les pires violences (en France comme à l'étranger) n'est pas contradictoire avec dénoncer les
outils utilisés pour reproduire le système qui permet ces violences.
Ici, l'outil, c'est le vêtement. Il a été prouvé que les jeunes gens reproduisent les stéréotypes, ça s'appelle
l'effet Pygmalion.
"Que je sache, c'est une marque qui propose des vêtements sexués, comme plein d'autres. "
Oui, c'est pour ça que personnellement je n'ai pas gueulé. Je suis blasée par ce que je vois dans les magasins et les boutiques en ligne (chez Vert Baudet par exemple : le pyjama
fille,
garçon, et
bébé à venir dont le sexe n'est pas encore connu). Je n'ai pas été étonnée de l'existence de ces bodies, mis à part le fait qu'ils ont des manches longues, ce qui n'est pas des plus confortable en été.
Je crois que Petit Bateau a payé pour les autres. Ca s'est vu (il faut dire que le modèle est particulièrement gratiné) et la réaction a été épidermique. Le fait que ça touche les bébés a aussi ajouté à l'émotion. Une action réfléchie touchant toutes les marques (et pourquoi pas touchant aussi les jouets et la littérature enfantine...) serait plus logique. Mais aurait-elle été relayée par les médias ?
"On est en démocratie, on n'est pas obligé d'acheter si on n'aime pas!"
Je n'aime pas la clope, je n'en achète pas, mais je dénonce ses effets. Je n'aime pas ces bodies, je ne les achète pas, mais je dénonce leurs effets.
"Parce qu'on est dans un pays libre, les filles peuvent être des "garçons manqués", les garçons "efféminés". C'est cool.
Mais l'inverse est encore possible!"
Etre une garçon manqué ou un garçon efféminé, c'est quand même mal vu. J'ai le souvenir d'un camarade d'école qui faisait de la danse classique, il a pris cher.
Nous ne sommes pas libres d'être ce que nous voulons être : on nous impose des codes, et si nous sortons des clous, nous le payons. Voilà ce que le féminisme dénonce. A cela s'ajoute le contenu des codes : les qualificatifs attachés au féminin ne sont pas des plus flatteurs.
" C'est quoi le but? qu'on finisse tous en uniforme, et que les bébés soient tous en body gris unisexe à col Mao? Qu'on leur rase tous le crâne jusqu'à leurs 18 ans pour masquer leurs différences de sexe?"
Justement non. Le but est d'être
libres de
choisir d'adopter un comportement sans influence extérieure et sans encourir de jugement. Que les garçons comme les filles puissent porter des jupes ou des pantalons si ça leur chante, par exemple, et que personne ne puisse les juger. Personnellement, je porte des jupes, et je ne me maquille pas malgré une pression extérieure pesante (à ce sujet, j'ai écrit
un billet tout récemment et le fond de ma pensée a été donné dans les commentaires).
Ceci dit j'aime beaucoup les cols Mao.
"Moi je préfère que les féministes luttent CONTRE l'uniformisation... et tant pis si cette liberté a pour conséquence de laisser libre-champs à la création de fringues un peu nunuches à fleu-fleurs! Cet excès-là vaut mieux que l'inverse, non?"
Si les fringues à fleu-fleurs sont disponibles pour les deux sexes, il n'y a pas de problème (sauf que mon mari et moi aurions du mal à nous fringuer, on préfère les têtes de mort, vous voyez...).
"On va leur retirer la garde de leurs enfants pour cause d'éducation sexiste? Les envoyer en camp de rééducation de parents, les forcer à recourir à un coach en choix de garde-robe pour bébé féministement correcte?"
Faudrait pas exagérer. Nous demandons que les fabricants et les parents pensent aux conséquences de leurs actes en leur fournissant des informations qu'ils n'ont pas forcément. Forcer les gens à penser, c'est si méchant que ça ?
"Je suis sincèrement choquée par les jouets idiots provoquant une sexualisation précoce des enfants (comme les barres de pole-dance pour petites filles, ou les concours de mini-pouffes)... mais franchement, ces bodies, à côté, me paraissent bien inoffensifs."
Je suis d'accord. Mais les accessoires de mini-pouffe ont
aussi fait gueuler. Les médias, encore une fois, en ont peu parlé. Je soupçonne que les journalistes aient relayé le buzz pour faire passer les féministes pour des gourdes qui luttent pour des points de détails. C'est faux : nous luttons contre les détails dont nous soulignons l'importance (faits à l'appui : les fameuses études sont là pour ça) ainsi que contre les choses graves. Mais dans ce dernier cas, c'est bizarre, les médias ne disent pas grand-chose...
Oui, j'accuse beaucoup les médias. Ils sont responsables à la fois d'une
représentation sexiste des femmes mais aussi d'une vision caricaturale du féminisme.
"J'ai pour projet de mettre ma fille à la danse classique et mon fils au tennis... (je sais c'est furieusement tradi). Est-ce que je mérite moins d'être féministe?"
Ca dépend, le choix de la discipline leur a-t-il été imposé par l'extérieur ? Votre fille sait-elle qu'elle a le droit de faire du tennis ? Votre garçon sait-il qu'il a le droit de faire de la danse ? Si c'est un choix libre, je ne vois pas où est le problème. Sinon, je ne vous jetterais pas la pierre, d'une part parce que je n'ai pas à juger des choix d'une autre famille, d'autre part parce que ce n'est pas facile de pousser ses enfants à transgresser les règles sociales non écrites, pour les voir subir brimades et moqueries de la part de leurs camarades.
"Si on foutait un peu la paix aux gens, aussi?"
Tout à fait d'accord. J'aimerais que Petit Bateau nous foute la paix au lieu de m'imposer ainsi qu'à mes enfants des qualificatifs sexués.
Parce que les caractéristiques sexuées ne sont pas, pour le plupart, naturelles. Elles sont imposées par l'éducation à travers des outils comme ces bodies. Et au nom de ces caractéristiques, des femmes sont moins payées, frappées, violées, tuées.
Le sexisme tue.
" Ah! et puis, ma fille, il y a quelques jours, m'a demandé un jouet aspirateur... "pour faire comme papa" (ben oui).
Enigme: Dois-je refuser, sous prétexte qu'une petite fille ne doit pas être éduquée de manière sexiste? Pourrais-je, en revanche, l'offrir à mon fils, sous les "houra" des féministes, applaudissant à la vue de mon éducation correspondant si bien aux nouveaux codes stricts du féministement correct?"
Si vous leur offrez à chacun un jouet qui leur fait plaisir, en leur transmettant par ailleurs une vision égalitaire de la société, là je dirai hourra. Si votre fille veut un aspirateur, pourquoi pas, à condition de lui expliquer qu'elle n'est pas obligée de le passer parce qu'elle n'a pas de pénis (l'exemple de son papa devrait suffire, de toute façon).
"C'est ridicule... un peu comme celles qui s'acharnent à vouloir féminiser tous les mots, auteure, ingénieure, basketteure... en confondant "genre" (grammaire) et "sexe" (vraie vie). On peut être féministe et se présenter comme "écrivain", non?"
Je ne suis pas certaine qu'il y aie consensus sur la question chez les féministes. Il me semble que la plupart d'entre nous (moi incluse) soit pour la féminisation des noms de métiers pour que les enfants n'acquièrent pas une vision sexuée de ces métiers. Par exemple, mon fils aîné a reçu un camion Playm*bil à Noël, avec deux p'tits pompiers dedans : un homme et une femme. Il m'a demandé ce que la femme faisait là, si elle aidait le pompier. Je lui ai répondu que non, elle était pompier. Il m'a alors demandé comment on disait : pompière, pompiette ? Ca lui a vraiment posé problème. J'ai beau dire, Mme Pompier a fini sur le siège passager et ne tient jamais la lance à incendie. Les mots sont importants ! Ils sont le reflet de notre pensée et cette pensée est forgée sur les mots. C'est un cercle vicieux qu'il faut bien briser à un moment ou à un autre.
Par ailleurs, le "genre" n'est pas qu'une notion grammaticale. Il s'agit aussi d'une notion sociologique (voir
là et
surtout là). Peut-être qu'en apprendre plus sur le sujet (si ce n'est fait) vous permettrait de mieux comprendre pourquoi nous trouvons que ces notions sont importantes. Cette notion est au coeur du féminisme dit "
de troisième vague".
"Il y a tellement de luttes féministes plus importantes! Il faudrait mieux hiérarchiser les problèmes."
Il faudrait surtout que le grand public soit au courant de ce qui se passe réellement dans les milieux féministes... Vous verriez que les grands problèmes sont aussi combattus que la myriade de détails qui les causent.
" Je suis -très- féministe, mais....
... ce ne sont pas des mouvements comme ceux-ci qui vont me donner envie d'adhérer à une quelconque association féministe."
Ce mouvement anti-Petit Bateau ne me semble pas être le fait s'associations, mais d'individus.
Je serais curieuse de savoir ce que c'est, pour vous, être féministe. Etre pour la parité ? L'égalité des salaires ? Lutter contre les violences conjugales ? C'est tout cela, bien sûr, mais c'est aussi, à mon sens, être conscient des questions de genre, remettre perpétuellement en question ses croyances et ses habitudes et lutter pour faire cesser la reproduction du système sexiste.
Si on emmerde le monde, il y a une raison... On a mieux à foutre de notre temps que troller la page Facebook de Petit Bateau !
Edit : Je rappelle que les commentaires de ce blog sont impitoyablement modérés. Je suis ouverte à la contradiction, à condition qu'elle soit argumentée et exprimée posément. Un commentaire du type "Beuarf c'est ridicule", par exemple, sera rejeté par la modération.