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dimanche 16 septembre 2012

Le choeur des femmes

Mon dernier billet, à propos de la psychanalyse, a eu un certain succès (merci à tous ceux qui l'ont gentiment partagé sur Facebook). Le hasard veut que l'article suivant dans ma liste de brouillons à publier concerne encore des soignants peu respectueux... On ne peut pas dire que j'aime particulièrement taper sur le corps médical (j'ai croisé des sacrés couillons qui ont fait de gros dégâts dans ma vie et celle de mes proches, mais aussi des anges, dont pas de généralité !), ni sur une catégorie socio-professionnelle quelconque : c'est un véritable hasard.
Il y a quelque temps, j'étais dans le RER, assommée après ma semaine de rentrée passée à courir pour emmener les mômes chez la nounou puis à l'école avant de sauter dans les transports pour aller donner mon cours à des étudiants que je ne connaissais pas encore (quel stress, mine de rien), le sac lesté de publications scientifiques que je devrais étudier au lieu de lire des romans.Comme tous les jours, remettant à plus tard mon étude bibliographique du courant électrique dans les hétérojonctions, j'ai ouvert  Le Choeur des Femmes de Martin Winckler, me promettant de bosser quand je serais plus reposée. Et j'ai tourné les pages, happée comme un électron dans la base d'un transistor bipolaire par un récit merveilleusement écrit qui est immédiatement entré en résonance avec mon propre ressenti.

dimanche 6 novembre 2011

Ainsi soit-elle, Benoîte Groult

Je poste peu en ce moment, mais je lis pas mal.
Je me suis enfin décidée à entamer la pile de livres à lire qui prend la poussière sur mon étagère. J'ai donc ouvert, puis dévoré, Ainsi soit-elle de Benoîte Groult.

De Benoîte Groult, je ne connaissais que la fameuse citation le féminisme n'a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours. C'est simple, concis, clair et pertinent, comme ce livre.
Ainsi soit-elle est paru en 1975, en pleine vague féministe. C'est une époque que je n'ai pas connu et que je n'aurais pas aimé connaître : je suis bien contente, aujourd'hui, de profiter de ma liberté. J'avais donc posé le livre sur ma pile en me disant que ce serait bien intéressant de lire un témoignage d'un passé révolu, mais que je ferais ça un jour où je n'aurais rien de plus important à lire. Et puis finalement, le sourire de Benoîte Groult sur la couverture m'a convaincue de m'installer dans le RER avec ce petit volume.
J'ai pris une baffe monumentale.


vendredi 15 juillet 2011

L'Amour en Plus

Je n'ai jamais cru en l'instinct maternel, même avant d'avoir mes enfants. Cet instinct ressemble plus à un fantasme de pouvoirs surnaturels qu'à une caractéristique aux causes physiologiques établies. A la naissance de mes enfants, je n'ai pas gagné de capacités extrasensorielles. Si, quelquefois, j'ai réagi plus vite que mon mari, c'était clairement par habitude des poupons et des discussions sur les bébés avec les mamans. Je n'avais donc aucun doute quant à l'inexistence de l'instinct maternel quand j'ai ouvert L'Amour en plus d'Elisabeth Badinter. Je cherchais des arguments et des faits pour casser les machos qui sous-entendent toujours que mon intérêt pour mes enfants est instinctif (pas besoin d'instinct pour aimer mes merveilles !). Et puis j'étais curieuse de lire Badinter ; je ne sais pas à quoi ressemblent ses autres livres même si j'en ai beaucoup entendu parler (pas en bien !), mais celui-ci, je l'ai bien aimé.
Badinter ne parle pas d'instinct maternel, mais d'amour, cet amour absolu, naturel, de la mère pour son enfant. S'il est naturel, s'il apparaît automatiquement dès la naissance de l'enfant, il a dû se manifester chez toutes les mères, tout au long de l'histoire. Et s'il est absolu, toutes les mères ont dû se sacrifier pour le bien-être et la sécurité de leur enfant.

La première partie de l'ouvrage démontre, chiffres et témoignages d'époque à l'appui, que sous l'Ancien Régime les mères ne se sont pas sacrifiées pour leurs petits. Peu désireuses de pouponner (dans cette société, les enfants font peur, ils sont méprisés, traités comme des jouets), elles les ont massivement abandonnés à des nourrices chez qui ils étaient en grand danger de mort, et en toute connaissance de cause. Les jeunes survivants étaient, selon les moyens des parents, éduqués par des précepteurs, des gouvernantes, des collèges, des couvents, mais rarement par leurs parents, et donc pas par leurs mères.
Ceci ne veut pas dire que l'amour maternel n'existe pas, mais qu'il n'est pas absolu. Ceci étant, on pourrait croire que l'amour maternel a été étouffé sous l'Ancien Régime : l'abandon étant la norme sociale, les conditions n'étaient pas propices à la naissance de sentiments, quelqu'ils soient.

La seconde partie de l'ouvrage montre comment les hommes politiques de la fin de l'Ancien Régime ont réalisé la situation dramatique des enfants mis en nourrice. Pour diminuer la mortalité infantile, il était clair que les enfants devaient rester auprès de leurs parents. On a donc choisi de responsabiliser les mères, et une grande campagne de sensibilisation a été menée. L'amour maternel a été érigé en valeur féminine par excellence. Les philosophes du siècle des Lumières, Rousseau en tête, a promis aux "bonnes mères" des joies inégalées, et une catastrophe familiale pour les autres.
Si l'amour maternel est naturel et naît automatiquement quand la mère tient son nourrisson dans les bras, si l'on n'arrache pas les nourrissons aux bras de leurs mères, l'amour devrait triompher. Il ne devrait pas avoir besoin d'être encouragé, valorisé ; les mères ne devraient pas avoir besoin de manuel, ni de modèles. S'il est naturel d'aimer son enfant à la folie et de tout sacrifier pour lui, pourquoi ce penchant a-t-il dû être autant encouragé ? Pourquoi le résultat n'a-t-il pas été immédiat ?

La troisième partie expose comment les conseils de Rousseau et les théories de Freud ont permis de mettre en place une image de la mère idéale et de culpabiliser toutes celles qui ne collaient pas parfaitement au modèle.
Pour Rousseau et ses successeurs, la Nature, qui est belle et parfaite (les virus, les bactéries, les ouragans, c'est top), a donné à la femme toutes les ressources pour être une bonne mère. Tourner le dos à son destin de mère, c'est tourner le dos à sa nature, c'est être un monstre. Et pour ne pas tenter la Femme de tourner le dos à sa Nature, on lui donne une éducation spécifique, lui du raisonnement, des sciences, on lui donne le goût du sacrifice...  C'est à peine contradictoire. Si l'amour maternel est naturel, il n'y a pas besoin de l'encourager par des moyens lourds comme l'éducation donnée à Sophie ni de menaces les mères comme le fait Ida Sée qui promet aux femmes qui travaillent que leur famille sera détruite, parce qu'elles ne peuvent pas faire cuire la soupe à petit feu !
On en vient à Freud. Et là, arg. La "mauvaise mère" n'est plus seulement dénaturée, elle est malade. Contagieuse, si elle ne se plie pas à la psychanalyse, ses enfants seront malades aussi. La description de la psychologie féminine fait vraiment froid dans le dos.

L'ouvrage se termine sur des constatations sur l'évolution de la famille dans les années 70. Les choses changeaient, les pères commençaient à s'impliquer dans les tâches familiales, les mères à  s'émanciper...


Depuis l'Ancien Régime, la philosophie et la psychanalyse se sont succédés pour inciter les femmes à se complaire dans un rôle de mères-courage. Et aujourd'hui ? Ces discours forment une trame diffuse dans nos esprits, ils nous influencent toujours, mais ils sont tempérés par notre désir de travailler, de produire, d'être des individus productifs à part entière. Sommes-nous libérées ? Je ne crois pas. Je crains que nous ne tombions sous un nouveau joug : celui de la biologie. Le lait maternel est bien meilleur pour l'enfant, mais culpabiliser celles qui ne peuvent ou ne veulent pas allaiter, parce qu'elles privent leurs enfants de ce lait est un abus. Porter son enfant est naturel, imposer* aux femmes de l'avoir tout le temps dans les bras, handicapant leur mobilité, ne l'est pas. Je n'ai pas le sentiment que la pression exercée sur les mères soit immense, mais je crois qu'il faut rester vigilants pour qu'elle ne le devienne jamais.
Comprenons-nous bien : tout n'est pas à jeter dans la philosophie rousseauiste, tout n'est pas à jeter dans la psychanalyse, tout n'est pas à jeter dans la biologie. Dans ces trois cas, des vérités ont été mises à jour et un réel progrès humain en est ressorti. Néanmoins, les idées ressortant de ces disciplines ont été utilisées par certains spécialistes pour enfermer les femmes dans leur rôle de mère.
Qu'une mère aime ses enfants, c'est bien normal. Etre forcée à les aimer jusqu'à s'oublier ne l'est pas : comment un enfant peut-il être épanoui avec une mère épuisée ? Se voir nier un quelconque autre rôle ne l'est pas. Nier le rôle du père ne l'est pas. En revanche, allaiter ou porter son enfant si on le souhaite, quand on le souhaite,  comme on le souhaite, en étant correctement informés, sans encourir de jugement, en collaboration étroite avec le père qui supporte 50% de l'effort, dans le respect, là, j'aurais rien à redire.

Assez de mères courage ! Vivent les parents bonheur ! Les enfants ont tout à y gagner...

* Attention à la signification du mot "imposer". Personne n'a la baïonnette dans le dos, mais tout le monde est soumis à des images idéalisées, imposées, qui orientent nos choix.


Edit : Ma copine Working-Mama vient de sortir l'article dont elle nous parlait dans les commentaires : Mais c'est quoi, l'instinct maternel ? Un article très chouette !


Illustrations :
La couverture de L'Amour en plus d'Elisabeth Badinter, paru au Livre de Poche en 1980.
Anne d'Autriche avec le Dauphin et la reine Marie-Thérèse, auteur inconnu, 1662.
Firmin Baes, Doux rêves, date inconnue.
Pierre-Auguste Renoir, La jeune mère, 1898.
Une lionne et ses petits (source)

samedi 7 mai 2011

La langue, reflet de la société française

J'ai reçu pas mal d'appels à signer la pétition pour la réforme de la grammaire française intitulée "Que les hommes et les femmes soient belles !". Elle propose de remplacer la règle d'accord actuelle par la règle de proximité et elle est relayée entre autres chez Héloïse, chez Emelire, et sur Egalité. Je l'ai signée.

Le texte de la pétition rappelle que, dans la grammaire française, "Le masculin l'emporte sur le féminin". Et qu'on ne me parle pas de cette ânerie de "masculin neutre" qui sert à justifier cette règle avec une mauvaise foi effrayante : "En 1676, le père Bouhours, l'un des grammairiens qui a œuvré à ce que cette règle devienne exclusive de toute autre, la justifiait ainsi : «  lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte. »"

Cette règle n'est pas sans effet dans notre société : "Cette règle de grammaire apprise dès l'enfance sur les bancs de l'école façonne un monde de représentations dans lequel le masculin est considéré comme supérieur au féminin". C'est à mon avis la raison la plus importante pour signer cette pétition. La société forme le langage : notre langue est le reflet de notre société, et la règle d'accord est un symptôme du patriarcat. Mais les jeunes esprits intègrent ces règles. Le langage contribue, avec bien d'autres choses, à donner une vision sexiste du monde aux enfants. Changer les règles du langage ne permettra pas de briser le patriarcat qui a des causes bien plus profondes, mais cela permettrait de poser un obstacle à sa reproduction. A un moment ou à un autre, il faut bien briser le cercle vicieux. On pourrait tirer la même conclusion du problème de la publicité sexiste, du faible nombre de femmes parmi les dirigeants...

Malgré cela, ma première réaction à cette pétition a été négative.
La langue fait partie de notre culture, de notre patrimoine, qu'elle nous plaise ou non.  Cette règle est un héritage de notre culture et notre culture est patriarcale. Si nous souhaitions expurger de notre culture tout ce qui est hérité du patriarcat, il faudrait brûler tous nos livres, détruire tous nos films... Je préfère largement éduquer les jeunes en expliquant d'où vient cette règle et ce que ça a d'injuste que remplacer la règle par une autre en faisant table rase du passé, comme si de rien n'était.
De plus, je crains la résistance de nos concitoyens qui tiennent à leurs repères culturels sans les remettre en question. Un réforme de la règle grammaticale rencontrerait trop de résistance et serait vécue comme arbitraire. Je pense qu'il est plus sage d'agir sur la langue par petites touches, en féminisant les noms de métiers en priorité. Puis, si la société parvenait enfin à se débarrasser du sexisme, la langue suivrait.

J'ai finalement signé quand j'ai relevé que la pétition ne demandait pas le remplacement de la règle actuelle mais l'ajout de la règle de proximité. Nous serions libres d'utiliser les deux. C'est une solution élégante. Même si personne n'utilise à l'avenir la règle de proximité, au moins la question du genre dans la langue, de son origine et de son effet sur les jeunes esprits aura été posée. Et si la société évolue dans le sens de l'égalité, la possibilité d'utiliser la langue de manière non sexiste existera.

dimanche 1 mai 2011

Séduction à la grecque

Il y a quelque temps, Euterpe a cité comme exemple dans un billet sur la résurection manquée la nymphe Eurydice. Ca m'a donné envie de m'intéresser aux figures féminines de la mythologie grecque.
J'ai toujours été passionnée par la mythologie grecque. Ces histoires sont si marquantes qu'elles font partie intégrante de notre culture. Avec les contes de fées, elles contribuent à nous construire. Les héroïnes en particulier sont fascinantes pour leur courage, leur dignité ou le pathétisme de leur situation. Et comme les contes de fées nous apprennent à considérer les femmes comme des êtres soumis et passifs dont le seul intérêt est de faire le ménage et de faire tapisserie, les mythes influencent notre vision des femmes.Etant donné la place des femmes dans la société grecque à l'époque, on n'est pas gâtées.

Parmi les figures féminines marquantes de la mythologie grecque, les plus célèbres sont sans doutes les amantes de Zeus, qui sont les mères de pas mal de héros. En parcourant leurs histoires, j'ai été frappée par la fréquence de l'apparition d'animaux dans le processus de séduction. Est-ce un fantasme des artistes ? Une métaphore ?

L'union de Zeus et Héra en est un bon exemple. Héra était, au départ, une déesse vierge et chaste. Son jeune frère, Zeus, qui était déjà connu pour être un sacré coureur, la convoitait. Evidemment, il s'est pris un râteau. Cela n'a pas suffi à le décourager. Il a fait pleuvoir et s'est transformé en coucou. Héra a ainsi trouvé sur son chemin un petit oiseau tout mouillé, tremblant de froid. Prise de pitié, elle l'a ramassé et l'a placé entre ses seins pour le réchauffer. Zeus a alors repris sa forme originelle et s'est uni à elle par force et par surprise. Honteuse d'avoir été abusée, elle a accepté de l'épouser. Avec des débuts pareils, faut pas s'étonner qu'elle ait été une épouse peu agréable.
Robert Graves (Les mythes grecs, Fayard, 1958) interprète le mythe à sa façon : "Elle est la Grande Désse préhellénique. [...] Le mariage forcé d'Héra avec Zeus commémore les conquêtes de la Crète et de la Grèce mycénienne - c'est-à-dire crétoise - et la fin de sa suprématie dans ces deux pays. Il se présenta à elle probablement sous l'aspect d'un coucou transi, ce qui signifie que certains Hellènes, qui étaient arrivés en Crète comme fugitifs, acceptèrent de servir dans la garde royale puis fomentèrent une révolution de palais et s'emparèrent du pouvoir. Cnossos fut mis à sac par deux fois - par les Hellènes semble-t-il - en 1700 avant J.-C. et en 1400 avant J.-C. environ ; Mycènes tomba aux mains des Achéens un siècle plus tard." Le viol comme métaphore de la conquête, la femme comme symbole d'une cité ou d'un pays, on a déjà vu ça quelque part. Rien à voir avec la fureur amoureuse qu'on essaie de nous vendre quelquefois, c'est bien de pouvoir qu'il s'agit.
La question de la force étant tranchée, reste la question de l'animal. Le choix du coucou n'est pas anodin : c'est l'oiseau qui entre par traîtrise dans un nid qui ne lui était pas, au départ, destiné. De plus, en le prenant entre ses seins, Héra lui offre un nid et s'ouvre à un rôle maternel qui n'était pas le sien. On voit  venir le beauf grec qui pense très fort qu'elle l'a cherché, surtout qu'elle l'a pris entre ses seins, ce qui est déjà un geste à connotation érotique.

Passons aux unions avec des mortelles.
Léda, par exemple, a été séduite par Zeus qui avait pris la forme d'un cygne. La même nuit, Léda a couché avec son mari, Tyndare (quelle nuit !). Neuf mois plus tard, Léda a accouché d'un oeuf (j'ose même pas imaginer l'accouchement) qui contenait Hélène et Pollux, enfants de Zeus, ainsi que Clytemnestre et Castor, enfants de Tyndare. La constellation du cygne est un hommage à cet événement.
J'ai parlé au départ des amantes de Zeus, mais on peut aussi citer Pasiphaé, dont l'histoire est plus glauque. L'épouse de Minos, le roi de Crète, n'avait rien demandé à personne. Minos, lui, avait demandé à Poséïdon de lui envoyer un taureau qu'il pourrait lui sacrifier. La bếte lui ayant été livrée, Minos la trouvait tellement belle qu'il a décidé de la garder pour lui. Poséïdon a donc voulu se venger. Les dieux ont une logique qu'on ne comprend pas toujours : c'est Pasiphaé qui a payé pour son mari. Elle est ainsi tombée amoureuse du taureau. Incapable de contenir sa passion, elle a demandé à l'architecte génial que Minos avait recruté, Dédale, de l'aider. L'architecte a construit, sur sa demande, une vache de bois dans laquelle Pasiphaé s'est glissée.
Comme Dédale était très doué, le taureau s'y est laissé prendre, bref, je ne vous fais pas un dessin, neuf mois plus tard Pasiphaé accouchait du Minotaure, le monstre à corps d'humain et à tête d'homme.
Je ne sais pas si on peut considérer un satyre comme un animal, vu qu'il s'agit d'une créature mi-homme mi-bouc (je ne sais pas ce que ça donne au niveau de l'odeur). Dans le doute, citons donc aussi Antiope qui a été séduite par Zeus transformé en satyre. Amphion et Zétos, les jumeaux nés de cette union étaient, coup de bol, physiquement normaux.

Sans aller jusqu'à la consommation d'une union zoophile, l'animal peut aussi servir à séduire la belle convoitée.Une princesse phénicienne, Europe, en a fait l'expérience. Alors qu'elle se baignait avec ses copines, Europe a vu s'approcher un magnifique taureau blanc qui n'était autre que Zeus métamorphosé. Le trouvant superbe et bien gentil, elle est montée sur son dos. L'animal est alors parti à la nage en pleine mer et l'a emmenée  jusqu'en Crète. Là, Zeus a repris sa forme originelle et a passé du bon temps avec elle sous un platane qui est depuis toujours vert et qu'on peut encore voir à Gortyne. Europe a mis au monde trois fils : Minos (le même gros malin que tout à l'heure), Rhadamanthe et Sarpédon.
Egine, fille du dieu-fleuve Asopos, a elle aussi été enlevée par Zeus sous la forme d'un animal. C'était, cette fois, un aigle, et Egine est devenue la mère d'Eaque, l'un des trois juges des Enfers avec Minos et Rhadamanthe, et ainsi l'ancêtre de Pélée, Télamon, Achille, Ajax et Teucer. Cette fois encore, Robert Graves assimile l'enlèvement d'Egine à la prise d'une ville, Phlionte, située à l'embouchure de l'Asopos.

Veut-on nous faire croire que les femmes grecques étaient des grosses perverses attirées par les bestiaux ? Je ne crois pas. Chez les Grecs, en particulier les Athéniens qui nous ont laissé pas mal d'écrits, les femmes ne comptent tout simplement pas. Peu importe de savoir si elles ont véritablement désiré ces unions, leur avis et leur désir n'est même pas secondaire. Les femmes ne sont que des créatures à l'humanité incomplète, encore un peu animales, encore un peu plantes, encore un peu minérales (les multiples Métamorphoses relevées par Ovide en témoignent). L'animal, émanation divine représentant les forces naturelles dans ce qu'elles ont de pur et de sacré, permet de souligner la fonction maternelle du corps féminin.

Cet aspect naturel est aussi suggéré par deux cas plus poétiques d'unions de Zeus : Danaé, la mère de Persée, qui a été fécondée par Zeus sous la forme d'une pluie d'or, et Io, son ancêtre, que Zeus a rencontrée sous la forme d'une nuée. Ce ne sont pas des formes animales mais des phénomènes météorologiques, chose logique pour le dieu qui règne sur les cieux, qui ont été choisies. Le rapport avec la pluie qui permet aux plantes de naître de la terre est souligné par Robert Graves qui interprète l'épisode de la pluie d'or "comme une allégorie pastorale : "l'eau est d'or" pour le berger grec et Zeus envoie des pluies d'orage sur la terre-Danaé".

Voilà, à mon avis, le sens de la vision des femmes chez les Grecs anciens : pas tout à fait humaine, investie par les forces de la Nature qui lui confère la maternité, moyen d'expression de la puissance divine qui donne la vie. Dominer la femme, c'est dominer la nature ; adorer l'essence féminine, c'est adorer les principes naturels. La séduire, c'est la conquérir comme on prend possession d'une terre, d'une ville, d'un pays. Mais la nature est traîtresse : sécheresse, inondations, tremblements de terre détruisent bâtiments et récoltes, et condamnent à la misère : la méfiance est de rigueur.
Les activités humaines, la pensée, l'intelligence, l'art, sont inaccessibles aux femmes dont l'âme est inaboutie. Par la passion qu'elles suscitent chez les hommes, elles les relient à leur origine terrestre tout en le empêchant d'atteindre le ciel. Elles sont une plaie nécessaire, le symbole de tout ce qui est beau et redoutable, et résument le tragique de la condition humaine.


Illustrations :
Métope du temple de Héra à Sélinonte, représentant Héra et Zeus.
Léda et le Cygne, Cesare da Sesto d'après Léonard de Vinci, 1515-1520.
Jupiter et Antiope, Ingres, 1851.
Le rapt d'Europe, Titien, 1559-1562.
Danaé, Titien, 1553-1554.

lundi 8 novembre 2010

La tendresse selon Milan Kundera

Picasso, Paul dessinant (illustrant La Vie est Ailleurs de Milan Kundera, Folio 834)


En lisant La Vie est Ailleurs de Milan Kundera, je suis tombée sur un passage qui m'a fait réfléchir.

Le livre est la biographie d'un poète fictif, Jaromil. Couvé par sa mère qui reporte pour lui son manque d'amour (cet aspect du livre est remarquable de sensibilité, le personnage de la mère abusive n'est, pour une fois, pas traité comme un monstre mais on le comprend), Jaromil est un amant abusif, et jaloux. Il idéalise les femmes comme il idéalise l'amour.
Le passage en question se situe peu après la seconde guerre mondiale, avant sa première expérience sexuelle, alors qu'une jeune fille vient de poser sa tête sur son épaule. Ce geste l'a bouleversé et le narrateur en profite pour faire une parenthèse précisant la perception qu'a Jaromil du corps féminin.

Ce corps était au-delà des limites de son expérience et, pour cette raison précisément, il lui consacrait un nombre incalculable de ses poèmes. Combien de fois n'est-il pas question du sexe de la femme dans ses poèmes d'alors ? Mais par un effet miraculeux de la magie poétique (la magie de l'inexpérience), Jaromil faisait de cet organe génital et copulateur un objet chimérique et le thème de rêveries ludiques.
Par exemple, dans un de ses poèmes, il parlait d'une
petite montre qui fait tic-tac au centre du corps féminin. [...]
Et dans un autre poème, les jambes de la jeune fille se muaient en deux fleuves qui se rejoignaient ; il imaginait à ce confluent une mystérieuse montagne qu'il désignait d'un nom inventé à consonance biblique : le mont Seïn.
Ailleurs encore, il parlait du long vagabondage d'un vélocipédiste (ce mot lui semblait beau comme le crépuscule) qui roule fatigué au milieu du paysage ; ce paysage est le corps de la jeune fille et les deux meules de foin où il voudrait dormir sont ses seins.
C'était tellement beau, vagabonder sur un corps féminin, un corps inconnu, jamais vu, irréel, un corps sans odeur, sans points noirs, sans petits défauts, sans maladie, un corps imaginé un corps qui était le terrain de jeu de ses rêves !
C'était si charmant de parler de la poitrine et du ventre féminin sur le ton dont on dit des contes de fées aux enfants; oui, Jaromil vivait au milieu de la tendresse, qui est le pays de l'
enfance artificielle. Nous disons artificielle, parce que l'enfance réelle n'a rien de paradisiaque et n'est pas tellement tendre non plus. [...]
La tendresse, c'est la frayeur que nous inspire l'âge adulte.
La tendresse, c'est la tentative de créer un espace artificiel où l'autre doit être traité comme un enfant.
La tendresse, c'est aussi la frayeur des conséquences physiques de l'amour ; c'est une tentative de soustraire l'amour au monde des adultes (où il est insidieux, contraignant, lourd de chair et de responsabilité) et de considérer la femme comme un enfant.


Le corps féminin apparait à Jaromil comme une manifestation universelle de la Nature, dans toutes les dimensions temporelle et spatiales. Mais c'est une nature idéalisée, expurgée de ses défauts, douce, sans danger, maternelle, accueillante. Elle est à la fois repère et refuge, origine et objectif. La tendresse, ici, est un amour idéalisé, entre l'amour qu'on voue à une mère rassurante et celui qu'on ressent pour une amante inatteignable.

Illustration de W. Siudmak utilisée en couverture de La Planète aux Vents de Folie de Marion Zimmer Bradley

Cette vision naïve ne me parait pas si anodine qu'on pourrait le croire au premier abord. Elle est à inscrire dans une logique paternaliste, où les femmes sont traitées comme des enfants, pas seulement pour les asservir en prétextant leur stupidité et leur fragilité, mais aussi pour les figer dans un modèle idéalisé, éternel. Les défenseurs du système paternaliste ne sont pas tous des salauds, ils peuvent aussi être des enfants qui ont grandi sans accepter de quitter ce pays du tendre, d'assumer leur humanité et ses petits désagréments. Devant le réalité de la vie, les trahisons de l'amour, les défaillances du corps humain, les menaces de la nature, ils paniquent et, à défaut de pouvoir pleurer dans le giron de leur maman qui n'est pas si rassurante qu'ils le souhaiteraient, ils tentent de se réfugier dans de fantasme de cet "éternel féminin".
Cette vision est aussi à relier à la pression que subissent les femmes pour effacer toutes les imperfections de leur corps, pour les rendre imberbes comme ceux d'un enfant, harmonieux comme un paysage, et ce éternellement. Ces corps sont à exhiber, pour que l'œil puisse en prendre possession et ainsi s'enrichir du fantasme incarné par ces personnages déshumanisés.

J'admire cette lucidité chez Milan Kundera. Il ne dénonce pas la situation, le sujet du livre est la poésie, qu'elle soit morale ou non, mais la suite de l'histoire, le comportement de Jaromil adulte, suffisent à laisser au lecteur le goût amer que le pathétisme du personnage impose.

dimanche 3 mai 2009

Mémoires d'une jeune fille rangée

Il n'y a rien d'étonnant à ce que Mémoires d'une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir m'aie attiré, ni qu'il m'aie plu. Le récit autobiographique de Mme de Beauvoir ne pouvait être autre chose que l'histoire, forcément jouissive, d'une jeune fille refusant un absurde ordre établi. Il serait néanmoins stupide de réduire cet admirable ouvrage à cette simple dimension.

Je disais récemment au sujet d'Harvey Milk qu'avant de tenter de changer le monde, il fallait se changer soi-même. Ce premier tome des mémoires de Simone de Beauvoir ne montre pas les actions qu'elle a entreprises mais comment l'auteur s'est rendue compte de l'incohérence de la société dans laquelle elle vivait, comment elle a pu y échapper, et à quel prix.
Simone de Beauvoir est née dans une famille bourgeoise parisienne. La Première Guerre Mondiale lui a appris le patriotisme, sa mère la religion, son père l'amour de la littérature. Cependant, son père se ruine peu à peu, et finit par ne plus pouvoir doter ses filles : elles ne pourront être mariées, elles auront à apprendre un métier pour vivre. Les résultats exceptionnels de Simone à l'école sont à la fois une fierté et une déchéance pour sa famille ; décontenancée par le comportement de a famille, isolée des autres par cette situation singulière et désireuse, elle-même, de vivre la vie qu'elle a choisie, Simone de Beauvoir met en place dans la souffrance les bases de sa pensée. Evidemment, elle rencontrera Sartre, ce qui la fera beaucoup évoluer, mais ce ne sera pas avant d'avoir rejeté d'elle-même une bonne partie des idées reçues de son milieu d'origine.

Ayant quelque peu souffert à la lecture du Deuxième Sexe, je redoutais cette rencontre avec Mémoires d'une jeune fille rangée. J'ai été agréablement surprise par le style de Simone de Beauvoir qui se prête mieux au récit qu'à l'essai. La lourdeur de la démonstration nous étant épargnée, restent la poésie et la justesse du trait.
Lorsque Simone de Beauvoir regarde en arrière, elle ne tente pas de s'embellir. Elle reconnait sans honte qu'elle a été une petite fille difficile ; elle ne cache pas son intransigeance ni ses erreurs. Ce n'est pas un monument à sa gloire. La façon dont elle décrit son enfance et son comportement de petite fille puis d'adolescente est montre un recul extraordinaire. Les premières parties du livre sont à la fois touchantes, charmantes et épatantes de lucidité. La psychologie de la petite fille qu'elle était est révélée sans qu'on sente l'analyse auquel l'auteur s'est soumise, elle apparait naturellement, sans artifice.
Il ne s'agit pas, non plus, d'écrire un roman d'initiation. J'ai lu ça et là des analyses d'internautes voyant dans le destin de Zaza une opposition à celui de Simone de Beauvoir ; cette dernière aurait réussi à s'émanciper, Zaza aurait échoué et payé lourdement cet echec. Cette vision manichéenne ne me convient pas et me semble à rebours de la volonté de Simone de Beauvoir. Elle souhaitait "tout dire", montrer la Vérité. Opposer les deux amies requiert une interprétation artificielle, voire même un peu symbolique, que l'auteur refuse. Tout a une raison ; l'émancipation de Simone de Beauvoir est le résultat de la rencontre de son éducation avec le caractère particulier, intransigeant et sensible, de la jeune femme. Nul besoin d'artifice ou de fard pour souligner ou mettre en évidence ce cheminement.

Le plus amusant, c'est que, malgré le temps, les évolutions de la société, et les prises de conscience collectives, j'ai réussi à me retrouver dans ce récit. Les temps ont changé, les femmes ne sont plus confinées au foyer. Enfin, elle ne sont pas forcées d'y rester, mais tout autre choix reste moins valorisé. Les mentalités n'ont pas autant évolué qu'on veut nous le faire croire ; si la loi nous permet de vivre à peu près libre, nos esprits ne le sont pas ; la rencontre avec cette femme d'une autre époque mais de notre monde nous le démontre vigoureusement C'est ce qui rend ce livre non seulement beau et utile, mais aussi rigoureusement indispensable. La lucidité de Simone de Beauvoir nous met devant nos propres contradiction, son honnêteté nous oblige à les affronter de front. Reste à trouver le courage de garder les yeux ouverts lorsque le livre refermé est abandonné à la poussière dans une bibliothèque.



dimanche 15 mars 2009

Twilight


De manière générale, j'aime bien les histoires de vampires. Surtout quand ils sont aussi adorables que Gary Oldman (allez savoir pourquoi, Bela Lugosi me fait vachement moins d'effet). Devant le succès de la quadrilogie Twilight, j'ai décidé de m'y mettre. Et j'ai adoré. Ce n'est sans doute pas l'oeuvre du siècle, loin de là, mais ça vaut quand même le coup d'oeil.
Twilight a été écrit par une mère au foyer, Stephanie Meyer. C'est une novice en littérature, ce qui explique, comme pour Frankenstein, quelques maladresses dans le récit. Je l'ai d'ailleurs lu en anglais, et je ne me suis pas réellement rendue compte du style. Les quatre volumes relatent l'histoire d'amour d'une humaine, Bella, et d'un vampire, Edward, bénie par la famille de ce dernier (en particulier Alice, la frangine un peu fofolle), réprouvée par le meilleur ami de Bella, Jacob, issu d'une tribu indienne ennemie des vampires. Outre le fait qu'Edward a autant envie de bouffer que de câliner sa copine, l'ensemble du monde magique, vampires comme loup-garous, pose des problèmes à cet étrange couple.

Stoker, dans Dracula, tentait d'expliquer la fascination de certaines femmes pour les vampires en relevant que le sang est omniprésent dans nos vies. Je ne crois pas que les choses soient si simples. Il faut penser à ce que représente le vampire. Ce n'est pas qu'une question de sang. C'est surtout, et Stephenie Meyer, l'auteur de Twilight, l'a bien compris, une question de proie et de prédateur. Dans notre société, une femme est une proie à séduire et à posséder ; il faut être une catin pour être reconnue en tant que femme et en même temps il faut être sage pour être respectable. Nous vivons écartelées entre ces deux facettes de "l'éternel féminin", inconciliables et inévitables. Le vampire, fort de son éternelle jeunesse, est le tentateur attirant et redoutable à la fois, la quintescence du prédateur flétrissant l'innocence et la pureté de la femme jusque là respectable.
De gauche à droite : Alice, Emmet, Bella, Edward, Rosalie et Jasper

Beaucoup de critiques ont reconnu dans le film Twilight une image de la frustration sexuelle des ados américains. Cette interprétation est assez vraie, c'est une des raisons du succès de la série. Mais il y a, je pense, plusieurs autres raisons.
Bella, l'héroïne, est une ado moyenne, à laquelle la lectrice-type s'identifie assez facilement. Pas trop mauvaise à l'école, Bella est une incorrigible gaffeuse, nulle en sport, dévoreuse de livre romantiques, communiquant peu avec ses parents (sa mère étant proche de l'irresponsabilité et son père introvertit). Elle est timide, se trouve physiquement commune, rougit facilement et a la peau très pâle ; elle se sent déplacée, différente des autres. Une ado, quoi. Personnemment, le fait qu'elle soit nulle en sport me l'a rendue immédiatement sympathique.
L'écriture des livres, aussi, expliquent en partie leur succès. Le style est limpide, clair, direct. Sans fioritures inutiles, Meyer va droit à l'essentiel. Elle dose parfaitement les descriptions fastidieuses, les réflexions internes, les dialogues et l'action pour que le lecteur ne s'ennuie pas. On voit le récit se dérouler aussi clairement que si l'on regardait un film. C'est très agréable, et addictif.

Cette simplicité de style est une des raisons du mépris dont beaucoup de lecteurs font preuve à l'égard de la série. De la simplicité au simpliste il n'y a qu'un pas que Stephenie Meyer franchit allègrement de temps en temps. Le fait est que son écriture n'admet aucune subtilité.
Les parallèles qu'elle tente de tracer sont scolaires. Tout au long du second tome, New Moon, des références transparentes à Roméo et Juliette sont faites, si crument que ça en devient lourd. De la même manière, le second tome, Eclipse, est pesamment mis en parallèle des Hauts de Hurlevent, sur une bête histoire de jalousie. Au point qu'on se demande si Meyer a lu plus que ces deux livres et si elle a vraiment cherché à aller au-delà de l'histoire. L'ambiance, la signification, l'état d'esprit des auteurs de ces oeuvres doivent lui être inconnus. Seuls les grands axes sont exploités pour tracer des comparaisons dignes d'un élève de quatrième.
Outre les références littéraires outrancieusement puériles, des parallèles et de comparaisons sont tracés entre les personnages sans aucune subtilité. Jacob a la peau chaude, Edward a la peau froide, rien n'est tiède. Bref, Stephenie Meyer est à la littérature ce que Dolph Lundgren est au cinéma. N'empêche que Lundgren peut être réjouissant à sa manière.

Un autre reproche à faire concerne la tentative ratée de suspense. Twilight est comparé à Harry Potter, qui vise à peu près le même public. JK Rowling construisait ses histoires avec plus de soin. Parmi la profusion de détails, seuls quelques-uns servaient au dénouement final. Chez Meyer, tout sert. Le dénouement est largement prévisible, il y a peu de surprise. Mais on ne lit pas Twilight pour avoir des surprises !
Malheureusement, Meyer s'acharne à tenter d'installer un suspense. Un événement, dont les causes et conséquences de cet événement sont transparents, a lieu, mais l'héroïne les interprète de travers, elle qui est censée être assez intelligente. Evidemment, Bella comprend à la fin du volume ce qui se passe réellement, et elle est toute étonnée. L'ensemble est artificiel, l'héroïne perd toute crédibilité. Tout se passe comme si Meyer déformait ses personnages pour les faire coller à son histoire, au lieu de faire évoluer son histoire autour des personnages.

Même sans suspense artificiel, l'histoire est prenante. Le romantisme est quelquefois lourdigue, mais il fait mouche. J'ai particulièrement apprécié les dialogues, très naturels la plupart du temps (je suis jalouse, là), et pleins d'humour. Les scènes tendres font soupirer et frissonner.
C'est dingue, quand même, dès qu'un livre ou un film est romantique, une majorité du public ricane. Le romantisme ne peut-il être différencié de la guimauve ? Twilight est une friandise, certes, mais elle n'est ni trop grasse, ni trop sucrée. C'est le genre de livre qu'il faut aborder sans a priori, dont il faut profiter sans réfléchir, juste pour passer un bon moment. Ca vaut le coup de tenter. Après tout, il ne sont pas mignons, tous les deux ?


jeudi 18 décembre 2008

Piled Higher and Deeper - Jorge Cham à l'X

De gauche à droite : Tajel, Cecilia, Jorge Cham et Mike. Des fois, je me demande qui est le plus réel...

Voilà maintenant plusieurs années que je suis avec enthousiasme les folles aventures de quatre doctorants - Mike Slackerny, Cecilia, Tajel, et le protagoniste anonyme - publiées sous forme de comic strips sur le web par Jorge Cham. Ca s'appelle Piled Higher and Deeper, mieux connu sous le nom de phD Comics.
Jorge Cham a commencé cette série au cours de son propre doctorat en robotique à Stanford. Diplôme en poche, il s'est fait embaucher par Caltech, mais n'a jamais cessé de dessiner. Finalement, Cham a abandonné sa carrière de chercheur pour se consacrer entièrement à son art.
Je pense que phD Comics est la plus grande private joke du monde. Les doctorants du monde entier se sont passé le mot pour rire de cette série qui décrit avec à-propos leurs pérégrinations dans le monde terrible de la recherche. Exploités, sous-payés, méprisés, incompris, les héros de phD Comics nous font nous sentir moins seuls. Surtout quand on perd notre temps à lire des BD sur le net ou à écrire des blogs au lieu de bosser... Car ces héros (ou plutôt anti-héros) ont élevés la glandouille (plus poliment appelée procrastination par l'auteur) au rang d'art salvateur.


Voilà quelque temps, les comic strips en ligne sont devenus des livres. Et Jorge Cham est parti en tournée dans le monde entier pour donner des conférences. Et il s'est arrêté à Polytechnique hier après-midi.

J'y suis donc allée accompagnée de mon compagnon de bureau Nha. La conférence avait été décalée en raison de la visite du président, et nous avons pu y aller en quittant notre bureau à 16h, pas trop tôt donc, sans honte.
Je me demandais ce que Cham pourrait bien nous raconter. Un résumé de sa carrière ? Comment se faire du fric sur le dos des doctorants, public jusqu'alors négligé ? Comment bien dessiner Cecilia ?
Après avoir traversé les bâtiments de Polytechnique à la recherche de l'amphi Arago (j'ai été un peu déçue par le campus... c'est propre, grand, mais vieillot, avec quelques relents d'architecture stalinienne...), j'ai eu ma réponse : ce n'est pas vraiment une conférence, c'est un one-man show ! Cham fait défiler les diapositives avec un pointeur laser dans la main, comme un professeur, mais le contenu n'a rien de sérieux.

Il a commencé par quelques blagues sur l'X, comparant les polytechniciens aux X-men, ainsi que M. et Mme Sarkozy à Magneto et Mystique. Inutile de dire que ce genre d'humour chauffe bien l'ambiance. Il nous a ensuite parlé (un peu) de lui, de son parcours, de son comic. Et puis il a enchaîné les blagues sur notre condition. Que c'était bon !

Une séance de dédicaces a suivi, et j'ai eu la chance de passer parmi les premiers. J'ai eu droit à un petit portrait, chose qui m'a fait énormément plaisir. Réflexion faite, il a dessiné Cecilia avec plus de cheveux... Ca m'a fait réfléchir... Eh oui, il faut bien que je l'admette, je suis une Cecilia...
Moi aussi je déprime en corrigeant mes copies...

Moi aussi je me sens seule dans une conversation normale...
Moi aussi, sans mon ordinateur, je suis un peu paumée...
Devant aussi, d'ailleurs...


Merci pour tout M. Cham !

mardi 13 mai 2008

Sauvez le point-virgule !!!


J'aime les œuvres littéraires qui dérangent. J'aime les livres non conformistes. Je trouve jubilatoire de profiter d'un ouvrage qui fait râler des gens qui ne l'ont pas lu. Je crains que d'ici peu de temps, je doive aussi me déclarer admiratrice de Flaubert.

Ce petit symbole si joli dont j'use et j'abuse avec délectation serait en voie de disparition, d'après Sylvie Prioul, qui a recherché sans grand succès à le retrouver dans la presse. Pourtant, le point-virgule est né pour rendre les argumentaires plus clairs... Il permet de respirer entre deux idées, il organise les choses. La virgule ne sépare pas assez, le point cloisonne violemment ; le point-virgule joint sans unir, sépare à l'amiable deux propositions qui ont en commun une même phrase. Le sens de la nuance qu'il apporte, le rythme qu'il donne au phrases est d'une beauté et d'une harmonie sans égale.

Pourquoi l'abandonner ? La mode est aux phrases courtes, ne comportant qu'une idée chacune, à l'anglo-saxonne. Il s'agit maintenant de décrire les choses. Une texte est fait pour être argumentatif ou descriptif, en aucun cas joli. Les phrases comportent un sujet, un verbe, et peut-être un complément. Il ne faut pas surcharger le cerveau du lecteur. La réflexion est réservée au fond. Il ne faut pas qu'on doivent respirer au milieu de la phrase.
Pourtant, le petit point virgule fait de la résistance. Les mots ont chacun leur sonorité, leur musique ; le point-virgule n'est qu'une manière supplémentaire qu'a le rédacteur, devenu chef-d'orchestre, de donner ordre et rythme à tous ses instruments dispersés.

Ne cessons pas d'employer notre ami le point-virgule ; vaillamment, insérons-le dès que la décence le permet (avec un espace insécable avant et un espace après, comme le mérite un symbole typographique double). Après tout, le point-virgule est bien sympathique : c'est lui qui nous permet de marquer notre connivence, si l'on penche la tête...
;-)

samedi 19 janvier 2008

Persépolis

J'avais adoré le livre. Passant dans les rayons de la Fnac, alors que je n'avais pas l'intention d'acheter quoi que ce soit, je vois 15 secondes du film sur un petit écran, en tête de gondole, avec les DVD proposés dessous. Ca m'a suffit pour me décider à l'acheter.
L'ouvrage faisait déjà rire et pleurer. C'est une histoire sublime, poignante du début à la fin. Le film n'ote rien à cette émotion : il l'amplifie. Le jeu sur les cadrages, les lumières, les ombres, ajoutent de la vie à un dessin austère qui ne garde que l'essentiel. C'est la première fois que j'aime autant la pellicule que le papier. Les deux supports offrent quelque chose de différent : le livre donne plus de détails, le film des émotions plus fortes. Le livre donne envie de voir le film et le film donne envie de (re)lire le livre...
Franchement, j'espère que les scénaristes d'Hollywood obtiendront ce qu'ils veulent (et méritent à mon avis). Ce serait dommage que la grève gâche les Oscars. Parce que Persépolis l'aura, si la politique ne s'en mêle pas !